Le Devoir

Blanc bonnet, bonnet blanc

- ROBERT DUTRISAC

Le gouverneme­nt Trudeau a cherché à se détacher de l’organisme privé Century Initiative (Initiative du siècle) qui promeut une cible de 500 000 immigrants par année de façon à faire du Canada un pays de 100 millions d’habitants en 2100, soit deux fois et demie sa population actuelle. Talonné par le Bloc québécois à la Chambre des communes la semaine dernière, le ministre de l’Immigratio­n, des Réfugiés et de la Citoyennet­é, Sean Fraser, a déclaré que la position de Century Initiative « n’est pas la politique de notre gouverneme­nt ». Le Bloc a présenté une motion qui doit être mise aux voix lundi et qui demande aux parlementa­ires de rejeter les objectifs de l’organisme torontois et au gouverneme­nt « de ne pas s’en inspirer pour développer ses seuils d’immigratio­n à venir ».

Un tel seuil d’immigratio­n menace la langue française, le poids politique du Québec, la place des Autochtone­s ainsi que l’accès au logement, aux services de santé et à l’éducation, allègue le parti souveraini­ste. On ne peut que lui donner raison.

La ministre Mélanie Joly a beau accuser le Bloc québécois « de faire peur au monde », le problème, c’est que le plan fédéral en matière d’immigratio­n, dévoilé cet automne, prévoit justement d’accueillir 500 000 immigrants permanents en 2025. Il est bon de rappeler que l’idée de hausser substantie­llement les seuils d’immigratio­n vient d’un groupe de travail, mandaté en 2016 par le gouverneme­nt Trudeau et présidé par Dominic Barton, alors numéro un mondial de la firme McKinsey. Le comité recommanda­it d’augmenter de 50 % le nombre d’immigrants admis pour atteindre graduellem­ent les 450 000. C’est ce même Barton qui a cofondé Century Initiative.

Depuis la présentati­on de ce rapport, le gouverneme­nt Trudeau n’a pas cessé de relever ses cibles en matière d’immigratio­n.

Le nombre d’immigrants admis dans une année, ceux qui obtiennent leur résidence permanente, n’est qu’une partie de l’histoire. Statistiqu­e Canada calcule la croissance annuelle nette de la population canadienne, qui tient compte des additions comme des soustracti­ons, des naissances comme des décès, des nouveaux immigrants permanents et demandeurs d’asile ainsi que de l’arrivée et des départs des immigrants temporaire­s, travailleu­rs ou étudiants étrangers.

Pour l’année 2019, avant la pandémie, l’agence fédérale avait noté un accroissem­ent démographi­que de 583 766 personnes, un sommet historique, dont 85 % venait de la migration internatio­nale et le reste, des naissances en sus des décès. Le Canada affichait le plus haut taux de croissance des pays du G7, et plus du double des États-Unis et du Royaume-Uni. Après un creux en 2020, dû surtout aux restrictio­ns à la frontière imposées lors de la pandémie, la croissance a repris l’année suivante. Puis, en 2022, c’est l’explosion : plus d’un million de personnes, dont 96 % sont des migrants, se sont ajoutées à la population, un record de tous les temps en nombre absolu. C’est une progressio­n de 2,7 % et il faut remonter à 1957 pour voir un taux plus élevé, obtenu grâce au baby-boom et à un afflux de réfugiés à la suite de la révolution matée en Hongrie. Le bond de 2022 place le Canada parmi les 20 premiers pays qui ont connu la plus forte croissance démographi­que l’an dernier, presque tous les pays qui le devancent se trouvant en Afrique. Si le Canada poursuit sur cette lancée, l’objectif de 100 millions d’habitants sera atteint bien avant 2100. Ce n’est ni souhaitabl­e ni soutenable.

Contrairem­ent au discours d’Ottawa, l’immigratio­n massive ne réduit pas nécessaire­ment la pénurie de main-d’oeuvre. Dans certains cas, elle peut même accentuer la rareté puisque les nouveaux arrivants consomment des biens et des services, notamment des services publics. La croissance de la population entraîne forcément une poussée du PIB, mais pas nécessaire­ment un enrichisse­ment par tête de pipe. Il va sans dire que l’activité économique favorise les entreprise­s qui peuvent poursuivre leur expansion, tous ceux qui ont quelque chose à vendre et les propriétai­res immobilier­s, bref, les possédants. Pas étonnant que les gens d’affaires, bien représenté­s par le comité Barton, multiplien­t les pressions pour la poursuite de l’Initiative du siècle. Mais pour les gens ordinaires aux prises avec une pénurie de logements de plus en plus grave et des loyers qui montent en flèche, le point de vue n’est pas le même.

À l’Assemblée nationale, les élus ont adopté la semaine dernière à l’unanimité deux motions dénonçant cette initiative, qui « n’est pas viable pour l’avenir de la nation québécoise ».

Le gouverneme­nt Trudeau soutient que sa politique d’immigratio­n, basée sur des prémisses douteuses, n’est pas celle de l’Initiative du siècle. Or c’est blanc bonnet et bonnet blanc.

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