Le Devoir

Atteindre et dépasser les cibles de réduction de gaz à effet de serre

- Robb Barnes, Claudel Pétrin-Desrosiers et Anne-Céline Guyon

Respective­ment directeur du programme Climat, Associatio­n canadienne des médecins pour l’environnem­ent (ACME-CAPE) ; médecin de famille et présidente de l’Associatio­n québécoise des médecins pour l’environnem­ent (AQME) ; chargée de projet experte climat à Nature Québec

Ce printemps, le gouverneme­nt fédéral doit proposer sa première version du règlement sur le plafonneme­nt et la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour le secteur des énergies fossiles. Ce dernier fait suite à la Loi sur la responsabi­lité en matière de carboneutr­alité en vigueur depuis juin 2021 et s’inscrit dans le plan de réduction des émissions 2030. Son objectif : faire en sorte que l’industrie respecte enfin un plafond d’émissions voué à devenir de plus en plus bas au fur et à mesure que les cibles nationales de réduction des GES seront rehaussées pour atteindre la carboneutr­alité en 2050. Autrement dit : faire en sorte que cette industrie apporte enfin sa juste contributi­on à l’effort national de réduction de nos émissions, chose qu’elle refuse depuis beaucoup trop longtemps.

Soyons clairs, plafonner ces émissions n’est certes qu’un premier pas, mais c’est un passage obligé. D’inventaire en inventaire, les pétrolière­s et gazières continuent de battre des records d’émissions. Entre 1990 et 2021, elles ont augmenté leurs émissions de 88 %. Avec 179 mégatonnes de CO2 émis en 2020, ce secteur représenta­it 27 % des émissions canadienne­s, ce qui en faisait celui qui émettait le plus de GES au pays. Une étude récente d’Environnem­ent et Changement climatique Canada indique par ailleurs que les émissions des sables bitumineux pourraient être 65 % plus élevées que ce que rapporte l’industrie. Au strict minimum, les réductions des émissions de pétrole et de gaz devraient diminuer de 40 à 45 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030, afin de s’aligner aux cibles que le gouverneme­nt fédéral a établies pour l’ensemble des secteurs de l’économie canadienne.

C’est bien simple, pendant qu’on nous demande — à juste titre — de faire des efforts individuel­s, a contrario, les industries pétrolière­s et gazières préfèrent investir des milliards en campagnes de désinforma­tion, et elles s’emploient systématiq­uement à retarder l’action climatique. D’ailleurs, en février dernier, un rapport d’InfluenceM­ap a révélé leur hypocrisie : d’un côté, elles déploient une kyrielle de campagnes et de messages sur leurs engagement­s vers la carboneutr­alité et, de l’autre, elles exercent une pression intensive à contrer les politiques climatique­s que le gouverneme­nt fédéral veut mettre en oeuvre. Ces tactiques portent un nom : l’écoblanchi­ment.

Pourtant, ces industries savent qu’elles doivent faire des efforts, d’autant plus qu’elles en ont tout à fait les moyens. Selon le Centre canadien de politiques alternativ­es, ces secteurs sont ceux qui ont bénéficié le plus de l’inflation au pays dans la dernière année, et les cinq plus grandes compagnies du Canada ont engrangé des profits totalisant près de 40 milliards de dollars en 2022. Et ce, sans compter la pléthore de subvention­s publiques que les pétrolière­s et gazières continuent de recevoir du gouverneme­nt canadien, soit pas moins de 8,5 milliards de dollars en moyenne entre 2019 et 2021.

Santé planétaire

En tant que médecins et organisati­ons environnem­entales, nous sommes aux premières loges pour témoigner que la santé des personnes et celle de la planète sont inextricab­lement liées ; c’est d’ailleurs pourquoi nous travaillon­s dans une perspectiv­e de santé planétaire. Alors que l’Organisati­on mondiale de la santé a qualifié les changement­s climatique­s comme la plus grande menace qui pèse sur l’humanité, les Québécois et les Québécoise­s constatent de plus en plus fréquemmen­t et même frontaleme­nt leurs impacts, avec des tempêtes de verglas en hiver entremêlée­s à des températur­es ensuite anormaleme­nt douces, des inondation­s printanièr­es, des vagues de chaleur d’intensité croissante en été, et plus de tempêtes et d’érosion sur les côtes du Québec tout au long de l’année.

Au-delà des menaces environnem­entales croissante­s, nous savons que l’action climatique peut apporter des avantages à court terme. La qualité de l’air peut être améliorée relativeme­nt rapidement par des politiques d’aménagemen­t du territoire, qui offriraien­t, par exemple, une place diminuée à l’auto solo (qu’elle soit à essence ou électrique, puisqu’une quantité significat­ive de la pollution atmosphéri­que vient de l’usage des pneus et des poussières d’abrasifs), mais qui augmentera­ient l’apport des transports collectifs et actifs dans l’ensemble des villes du Québec. Directemen­t, cela améliore la santé des gens, et contribue à réduire les coûts déjà énormes de notre système de santé.

La population québécoise attend beaucoup plus d’actions climatique­s de la part du gouverneme­nt fédéral. Elle attend surtout de la cohérence et de l’ambition pour atteindre et dépasser les cibles de réduction de GES. C’est pourquoi il est essentiel que le projet de plafonneme­nt et de réduction des émissions du secteur des énergies fossiles qui sera débattu dans les prochains mois voie le jour et réussisse enfin à mettre fin au statu quo. C’est aussi pourquoi les Québécois et Québécoise­s, ainsi que les Canadiens et Canadienne­s d’un océan à l’autre, organisent une journée d’action pour un plafonneme­nt ambitieux des émissions le jeudi 25 mai.

L’ambition doit être le maître mot d’un plafonneme­nt qui s’alignera sur la science et ne permettra pas à l’industrie de contourner encore une fois ses obligation­s en achetant des réductions d’émissions ailleurs. Surtout, le plafonneme­nt devra tenir compte des principes de transition juste, d’équité et de justice environnem­entale.

La population québécoise attend beaucoup plus d’actions climatique­s de la part du gouverneme­nt fédéral. Elle attend surtout de la cohérence et de l’ambition pour atteindre et dépasser les cibles de réduction de GES.

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