Le Devoir

Que reste-t-il de Robert Roussil ?

Dix ans après la mort du sculpteur et contestata­ire québécois, son héritage est en péril

- CLAUDE BRUNET COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

« Robert nous a laissé un héritage empoisonné », dit aujourd’hui son fils Éric Roussil. Le sculpteur québécois, mort en France en 2013, a laissé derrière lui, dans son atelier de Tourrettes-sur-Loup, en Provence, des centaines d’oeuvres sur papier et quelques sculptures, dont personne ne veut. Depuis dix ans, sa famille tente de leur trouver preneur, mais essuie plusieurs refus. Et pourtant, il a été un artiste hors du commun.

Roussil était considéré par plusieurs comme l’un des plus grands sculpteurs québécois de son époque, un artiste audacieux et avantgardi­ste. L’historien de l’art Guy Robert écrivait ainsi en 1965 qu’il avait contribué à « la libération de l’esprit du Québec », comme Pellan et Borduas.

La saisie en 1949 de La famille, une sculpture en bois de trois mètres de haut, par la police de Montréal pour grossière indécence avait marqué les esprits. Aujourd’hui exposée au Musée des beaux-arts de Montréal, cette oeuvre est un symbole du début de la sculpture moderne au Québec.*

Robert Roussil est un bagarreur qui conteste l’ordre établi. Sensible à l’idéal socialiste, le sculpteur de 22 ans fonde l’Atelier de la Place des arts à Montréal en 1947 (rien à voir avec l’actuelle Place des Arts). Son objectif est de réunir des artistes rebelles et des ouvriers. La peintre et signataire de Refus global Marcelle Ferron se joint à lui.

L’Atelier de la Place des arts est fermé par les policiers en 1954 pour de présumées activités subversive­s. Peu après, en 1956, Roussil plie bagage et s’installe en France pour le reste de ses jours.

N’ayant pas les moyens de vivre à Paris, Robert Roussil va à Tourrettes­sur-Loup à la suggestion de Marcelle Ferron. Roussil y rencontre sa deuxième femme, Danielle Moreau. Le couple s’installe dans deux vieux moulins à olives abandonnés, au pied du village. Le site ressemble alors à une décharge publique, mais « ça n’a pas fait peur à Robert », raconte Danielle MoreauRous­sil, jointe chez elle à Tourrettes. Les moulins seront son refuge, son lieu de création, pendant 55 ans.

Robert Roussil revient régulièrem­ent au Québec pour des exposition­s, qui tournent parfois au scandale. En 1965, lors du vernissage de la Rétrospect­ive Robert Roussil au Musée d’art contempora­in, la bagarre éclate quand le directeur du musée veut interdire l’affiche de l’exposition, montrant le sexe d’un homme, conçue par Vittorio, affichiste et ami de Roussil. En 1978, la direction du Musée du Québec met fin brutalemen­t à l’exposition Roussil, cinq années de travail parce que le sculpteur prône la destructio­n de l’actuel ministère des Affaires culturelle­s, qu’il qualifie de « poubelle culturelle ».

« Il déplaisait beaucoup aux autorités », raconte Danielle Moreau-Roussil.

Un héritage boudé

Robert Roussil est connu pour ses sculptures monumental­es. On en trouve une douzaine au Québec, dans des lieux publics à Montréal, à Rivière-du-Loup et à Joliette. Le sculpteur a toujours privilégié l’art public. « Pour lui, les galeries et les musées, c’était pour une élite », raconte Danielle Moreau-Roussil.

Son parc de sculptures à Saint-Laurentdu-Var, en France, est l’une de ses plus imposantes réalisatio­ns : 12 sculptures monumental­es aménagées sur le toit d’une station d’épuration de la Côte d’Azur. « La plus belle usine à merde en France », disait Roussil. Abandonnée­s depuis des décennies, les sculptures risquent maintenant de tomber sous le pic des démolisseu­rs, comme ce fut souvent le cas dans le passé.

À sa mort, Robert Roussil a laissé un fonds d’atelier imposant : des centaines de dessins et de gravures, ainsi que quelques sculptures entreposée­s en France et au Québec. Mais personne n’en veut, malgré les efforts de la famille.

Ils ont sollicité sans succès le marchand d’art Simon Blais, de la galerie du même nom à Montréal. « Pour qu’un marchand travaille bien, il faut qu’il aime l’oeuvre », résume ce dernier. Or, Roussil n’a jamais travaillé avec les galeries — « il détestait le marché de l’art », raconte son fils Éric. « Un artiste qui n’aime pas le marché n’est pas aimé par le marché », conclut le marchand d’art Blais.

La famille a soumis une demande de sauvetage du fonds d’atelier au Musée national des beaux-arts du Québec : autre refus. L’institutio­n n’en a pas les moyens ni l’intérêt. Avec près de 300 oeuvres de Roussil dans la collection permanente, « on a tout ce dont on a besoin », affirme la conservatr­ice de l’art moderne du musée, Anne-Marie Bouchard.

Le Musée d’art de Joliette veut acquérir 10 dessins de Robert Roussil, mais le processus est compliqué. Il est difficile d’évaluer la valeur de ses oeuvres, car il y a peu de traces de transactio­ns passées. Son fils Éric explique « qu’il a fait beaucoup d’affaires cash, même avec les villes ». Le critique d’art Gilles Daigneault donne le coup de grâce : « Personne n’a beaucoup d’estime pour Roussil en dehors de la sculpture. »

À 83 ans, Danielle Moreau-Roussil commence à perdre espoir. « J’entends Robert dire : “Fais un grand feu et mets tout ça au milieu.” Mais bon, il était toujours un peu dans la dérision. »

Personne n’a beaucoup d’estime pour Roussil en dehors »

de la sculpture GILLES DAIGNEAULT

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