Le Devoir

Drainville ne démord pas de sa réforme

Le ministre de l’Éducation a réfuté l’idée qu’une « école à trois vitesses » existe au Québec, lors d’une table éditoriale avec Le Devoir lundi

- MARIE-MICHÈLE SIOUI

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, estime que l’acquisitio­n de plus de « données probantes » par son ministère aura des effets positifs sur la réussite scolaire des élèves. Il continue néanmoins de réfuter l’idée qu’une « école à trois vitesses » existe au Québec, puisque les études ayant mené à cette conclusion comportaie­nt à son avis un « biais ».

« Moi, je trouve que la thèse sur l’école à trois vitesses a un biais idéologiqu­e », a déclaré le ministre lundi lors d’une table éditoriale organisée dans les bureaux du Devoir. « Un biais idéologiqu­e, c’est peut-être un peu fort, s’est-il repris. Mais je dirais un biais conceptuel, tiens. »

Le ministre critiquait de cette façon les conclusion­s du Conseil supérieur en éducation (CSE), qui a remis en 2016 un rapport avançant que le Québec avait le réseau scolaire le plus inéquitabl­e du Canada. Avec sa nouvelle réforme, le CSE perd des plumes : sa mission devient circonscri­te « aux questions relatives à l’enseigneme­nt supérieur », est-il écrit dans le projet de loi 23.

Après plusieurs plaidoyers en faveur des « connaissan­ces scientifiq­ues » et des « données probantes », M. Drainville s’en est pris aux façons d’évaluer le système scolaire québécois.

« De dire que l’accès à l’université, c’est la mesure par laquelle on doit juger si le système est égalitaire ou inégalitai­re, à mon avis, c’est une vision courte », a-t-il plaidé. « C’est un raccourci intellectu­el et, à quelque part, c’est une vision élitiste, également, de l’éducation, parce que quelqu’un qui décide d’aller étudier pour faire un métier spécialisé va être aussi heureux, sinon plus heureux, que s’il avait choisi d’aller à l’université. »

Selon une étude de 2019 du professeur Pierre Canisius Kamanzi, de l’Université de Montréal, 15 % des élèves qui fréquenten­t le public « ordinaire » au secondaire iront à l’université. Ce taux passe à 51 % pour le public avec sélection et à 60 % pour le privé.

Formation continue

La réforme en éducation proposée par M. Drainville prévoit notamment que « le ministre peut, par règlement, prévoir les conditions et modalités relatives à la formation continue » des enseignant­s. En vertu de la loi actuelle,

ce sont les enseignant­s eux-mêmes qui choisissen­t les activités de formation « qui répondent le mieux à [leurs] besoins ».

Or, certains professeur­s se contentent de se tourner vers un livre, s’est désolé le ministre. « “J’ai lu un livre, ça compte pour 3 heures sur mon 30 heures [de formation continue obligatoir­e] sur deux ans” », a illustré M. Drainville, en disant citer de réels exemples. « Actuelleme­nt, le processus qui encadre la formation continue, ce n’est pas rigoureux. »

Il s’est défendu de vouloir « dicter les contenus » de la formation continue. « Dans certains cas, on va faire en sorte qu’un thème sera priorisé », comme l’enseigneme­nt du français ou encore la « gestion de la classe », a-til expliqué. « Mais pour l’essentiel, les profs vont choisir les formations. Et les directions d’école veilleront à ce qu’ils les suivent. »

Ses orientatio­ns sur la formation continue « démontrent concrèteme­nt », à son avis, l’engagement du gouverneme­nt « envers la réussite scolaire », puisque cette formation amène à terme « une meilleure performanc­e des élèves » et de « meilleurs résultats scolaires ». « Moi, mon mandat, en un mot ou en une phrase, c’est : comment est-ce que je peux améliorer la réussite scolaire ? » a-t-il résumé.

Centralisa­tion

Avec sa réforme, le ministre Drainville retire aux membres des conseils d’administra­tion des centres de services scolaires — et aux commissair­es élus dans les commission­s scolaires anglophone­s — le pouvoir de nommer les directeurs généraux de leur institutio­n de gouvernanc­e locale. Le ministre voit les d.g. comme des acteurs visant à « opérationn­aliser » les orientatio­ns du ministère.

Il souhaite se donner le pouvoir d’infirmer leurs décisions, ou de les remplacer. « Ça pourrait arriver qu’un d.g. dise : “Les projets particulie­rs, moi, je n’y crois pas.” […] À un moment donné, il peut arriver qu’on dise : “Monsieur, Madame, on ne s’entend pas. Alors, on va se laisser, oui. Je vais devoir vous remplacer” », a-t-il reconnu.

M. Drainville a néanmoins rejeté — en partie — les reproches au sujet de la centralisa­tion que crée son projet de loi. « C’est vrai, je donne au ministre de l’Éducation le pouvoir de nommer les directions générales des centres de services. Ça, c’est vrai. Maintenant, ce qui se passe par la suite, la mise en oeuvre des orientatio­ns, elle reste totalement décentrali­sée », a-t-il souligné.

Il a rejeté du revers de la main les critiques voulant qu’il se prive désormais de toute critique ou contrepoid­s. « On en lit tous les jours, des contrepoid­s dans les journaux. Les experts se prononcent ; les syndicats, qui sont très actifs, ne manquent pas de tribune pour se faire entendre. Les doyens, les éditoriali­stes et les chroniqueu­rs se font entendre », a-t-il énuméré.

Il a d’ailleurs reproché à ces contrepoid­s de faire une « comparaiso­n un petit peu boiteuse » en mettant en parallèle la hausse de rémunérati­on proposée aux élus de l’Assemblée nationale (30 %) et celle proposée aux enseignant­s — « qui ne gagnent pas assez », selon le ministre.

« Et si je m’appelais Michel David, je dirais qu’elle est un tantinet démagogiqu­e », a-t-il lancé au chroniqueu­r, qui était assis en face de lui. « Tu compares vraiment le job d’enseignant au job de député ? Tu es en train de me dire que ça se compare ? »

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, en table éditoriale au Devoir avec le directeur Brian Myles, le chroniqueu­r Michel David et la correspond­ante parlementa­ire à Québec Marie-Michèle Sioui

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