Le Devoir

Continuer d’écrire, coûte que coûte

- LARRY TREMBLAY

avis. Mais le travail demandé n’est pas le même travail que celui de la création. »

À compter du 18 mai, l’Usine C présente Tableau final de l’amour, une adaptation théâtrale de son roman librement inspiré de la relation tumultueus­e du peintre Francis Bacon avec son amant, George Dyer, un costaud à la vie de voyou toxicomane. Le roman, publié en 2021, navigue entre l’aurore et le crépuscule de cette relation tortueuse et torturée, excessive et maladive.

L’orangeraie, roman à succès publié en 2013, continue de flotter comme s’il avait des ailes. En des temps où l’humanité a le nez plongé plus que jamais dans des parfums de guerre, ce récit apparaît d’une profonde actualité. Le producteur Roger Frappier va en tirer un film, grâce au travail de Murad Abu Eisheh, un jeune réalisateu­r jordanien de 31 ans. Murad Abu Eisheh est basé à Stuttgart, en Allemagne. Il s’est fait remarquer pour son inventivit­é lumineuse.

« C’est lui qui écrit le scénario. Nous avons passé une semaine ensemble. Il n’était jamais venu à Montréal, explique Larry Tremblay. Devant le cinéma, j’ai appris à me détacher, à laisser les choses se mettre en place, du côté de la force des images. » La langue du cinéma n’est pas la sienne. Son univers, plaide-t-il, gravite tout autrement. « Je suis un écrivain. J’entends ce que j’écris, ce que je vois. Comme acteur, j’ai développé un visuel très théâtral. Le cinéma fonctionne différemme­nt… Alors je fais confiance. Si j’étais un jeune, je me ferais sans doute des idées, mais je ne m’en fais plus ! »

L’horlogerie de l’écriture

Beaucoup de vies gravitent autour des morts de L’orangeraie. En 2016, ce roman récompensé par quantité de prix avait été adapté au théâtre, dans une mise en scène de Claude Poissant, de même qu’à l’opéra. Bientôt, le livre sera recomposé sous forme de bande dessinée.

L’effervesce­nce autour de Larry Tremblay est indéniable. Et cette année plus que jamais peut-être. Mais l’écrivain ne perd pas le cap. Il dit continuer d’écrire, coûte que coûte, installé dans la fine mécanique qui préside à ses jours. Il est bien certain que maintenir le mouvement de cette horlogerie très sensible qu’est l’écriture compte en définitive plus que tout.

La grâce d’une écriture tombée du ciel est une affaire rare chez lui, explique-t-il avec un léger sourire. « J’écris. Je travaille. Écrire est une discipline. J’écris systématiq­uement. Tous les matins. Que je sois en voyage ou pas. Les premiers jets réussis, dans ma vie, sont rares, très rares. Il y a quelques exceptions. Le Dragonfly of Chicoutimi, c’est pratiqueme­nt un premier jet. J’ai des carnets pour le prouver ! C’est formidable quand on porte en soi une pièce, sans le savoir, et qu’on a juste à l’écrire… Mais c’est rarissime. Sinon, c’est du travail, du travail, du travail. Alors tous les matins, j’écris… »

Ces jours-ci, Larry Tremblay vient de terminer un recueil de cinq nouvelles. « Je n’ai pas encore le titre, mais le bouquin sort en octobre. » Il s’affaire, en parallèle, à l’écriture d’un court essai consacré à l’écrivain contempora­in. « Il y a, ces temps-ci, la question de la censure, l’autocensur­e. Il y a ce que j’appelle le rétrécisse­ment de l’imaginaire devant la surévaluat­ion du vécu. Moi, je suis un écrivain de l’imaginaire. J’ai besoin d’imaginer. Mais on dirait désormais que la société oblige les artistes, pour créer, à se tourner vers eux-mêmes plutôt que vers les autres. C’est le moi, le je, l’individu, sa propre communauté, sa couleur de peau… Nous sommes là-dedans. Nous nous autoconsom­mons. Je réfléchis làdessus… J’essaie de conceptual­iser un peu tout ça, de façon assez ludique, à ma façon. »

La légitimité du créateur lui apparaît en tout cas s’être réduite. « Nous n’avons plus la légitimité d’écrire sur certains autres. Or, pour moi, le théâtre, c’est l’altérité à l’état pur. Le théâtre, c’est l’autre ! Je suis restreint, par certains personnage­s, parce qu’on pourrait me taxer d’appropriat­ion culturelle. Ça m’embête. Pour l’instant, je peux encore faire parler des personnage­s féminins. Mais je suis un homme… Peut-être qu’un jour on va trouver que j’exagère ? Enfin, je pousse ces questions à l’extrême. En 1992, j’avais créé une pièce, Leçon d’anatomie. Je faisais parler une femme pendant une heure et demie. Elle parlait de son mari. Hélène Loiselle avait créé le rôle. Cette pièce ne passerait pas, je crois, si je l’écrivais aujourd’hui. »

Cette question de légitimité de l’artiste taraude Larry Tremblay. « Dans mes pièces, dans mes livres, j’ai créé de petites planètes. Elles sont nouvelles, chaque fois. Mon univers, ce n’est pas le monde d’un quartier, celui de Michel Tremblay par exemple. C’est toujours autre chose que je recompose. Mais est-ce que l’époque dans laquelle nous vivons me permet encore de créer d’autres mondes ? »

Le fjord du monde

Il y a, ces temps-ci, la question de la censure, l’autocensur­e. Il y a ce que j’appelle le rétrécisse­ment de l’imaginaire devant la surévaluat­ion du vécu. Moi, je suis un écrivain de l’imaginaire. J’ai besoin d’imaginer. Mais on dirait désormais que la société oblige les artistes, pour créer, à se tourner vers eux-mêmes plutôt que vers les autres. C’est le moi, le je, l’individu, sa propre communauté, sa couleur de peau… Nous sommes là-dedans. Nous nous autoconsom­mons. Je réfléchis là-dessus… J’essaie de conceptual­iser un peu tout ça, de façon assez ludique, à ma façon.

Le rapport au monde de Larry Tremblay a été largement conditionn­é par une passion éprouvée de longue date à l’égard de l’Inde, de ses cultures. Dans les années 1970, pilier d’une jeune troupe de théâtre, il se retrouve invité en Inde pour jouer au théâtre dans ce pays désormais le plus populeux du monde. Le choc est énorme. Le kathakali, cette forme de théâtre dansé, l’a enlacé. « Je suis passé par une autre culture pour mieux voir la mienne. » L’Inde lui a permis une sorte de libération du regard par rapport à son propre pays, à ses origines. « C’est ainsi que j’ai vu que le Saguenay était beau, prodigieus­ement beau. Le fjord du Saguenay est un des plus beaux paysages du monde. »

L’Inde, Larry Tremblay y a séjourné à répétition. « Avec la pandémie, j’ai dû cesser, mais comme L’orangeraie sort en tamoul bientôt, cela pourrait être une motivation pour y retourner encore bientôt… » Les livres l’ont toujours fait voyager.

« Mon père était ouvrier. Les livres n’avaient pas beaucoup de place chez moi. Et moi, je n’étais qu’un lecteur ! Je lisais sans arrêt. Je lisais d’abord des Tintin, des Maurice Leblanc, des Bob Morane, toutes sortes de choses. »

Sa mère va accepter de l’abonner à une sorte de club de livre. Des classiques arrivent à la maison, les uns à la suite des autres : George Sand, Racine, Nodier, Jean-Jacques Rousseau, Chateaubri­and… « Je pouvais dévorer, chaque jour, un livre ou deux. J’ai gardé ces livres-là. Ils ont compté énormément. Je me souviens surtout de ce que je n’avais pas compris… »

 ?? MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR ?? Le romancier, dramaturge et metteur en scène Larry Tremblay
MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Le romancier, dramaturge et metteur en scène Larry Tremblay

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