Le Devoir

Le char, le système et l’individu

- Stéphane Guidoin

Récemment, le hasard de mes rendez-vous a voulu que je traverse Montréal à vélo par un de ces glorieux après-midi de printemps où le soleil et la nature renaissant­e semblent tendre la main à tout un chacun. Dans les parcs, les jeunes enfants jouaient gaiement sous le regard bienveilla­nt de leurs parents. Dans les rues, les moins jeunes enfants riaient des blagues qu’ils se racontaien­t ou des plus ou moins mauvais coups qu’ils préparaien­t, et les adultes de tous âges bavardaien­t sur les trottoirs, sur leur terrain ou profitaien­t simplement des rayons du soleil depuis leur balcon. Partout, des humains avides de profiter de cette fenêtre de la générosité vernale… sauf dans les rues où le trafic enflait à vue d’oeil.

Ici, moins de badauds profitant de leur balcon ou s’attardant à discuter avec un voisin. Ici, surtout, des conducteur­s captifs laissant aller bruyamment leur frustratio­n : klaxons insistants, invectives dirigées vers d’autres conducteur­s ou simplement vers une destinée revêche. Même sans le son, la frustratio­n est palpable : accélérati­ons précipitée­s, coups de frein brusques, queues de poisson agressives.

S’il était possible de cartograph­ier l’humeur de la population en temps réel, nous aurions vu à ce moment un vert guilleret recouvrir le plan de Montréal, quadrillé toutefois par des lignes rouge colère : autant d’artères et d’autoroutes congestion­nées ou de rues en travaux.

Tandis que je pédalais, en essayant d’éviter certaines rues inhospital­ières, j’ai soudaineme­nt été frappé par ce constat : comment, à une époque où des machines peuvent crédibleme­nt imiter des discussion­s humaines, continuons-nous d’accepter de rendre une partie de nos villes aussi accueillan­tes que la surface de Vénus, au service d’une modalité de transport qui nous rend misérables et qui fait ressortir le plus mauvais de nous ?

Car, entendons-nous bien, à mes yeux, les conducteur­s ainsi piégés sont des victimes au même titre que les résidents des quartiers devant subir le bruit, l’agression et la pollution des files de voitures à l’arrêt. Du moins, quand ma conjointe ou moi devons conduire, nous nous sentons victimes. Victime, certes en partie consentant­e, d’un système de mobilité qui a fait la part trop belle à la voiture et n’offre que peu de solutions de rechange pour des déplacemen­ts qui nécessiten­t une charge utile de plusieurs centaines de kilogramme­s.

La voiture individuel­le est un système de transport qui, par son succès, produit les conditions de sa faillite, au détriment des résidents des quartiers, mais aussi de ceux qui en ont réellement besoin : soins d’urgence, déplacemen­t de marchandis­e ou de matériel, etc. Pour le bien de tous, ce système doit changer ; c’est un changement que nous ne pouvons faire individuel­lement, mais collective­ment. Et dans cette démarche collective, nous avons deux responsabi­lités individuel­les.

La première responsabi­lité est de reconnaîtr­e l’inacceptab­le empreinte des voitures dans nos villes et les mesures nécessaire­s pour changer cela, même si cela entraîne des désagrémen­ts, comme de voir les périodes de stationnem­ent tarifé étendues, comme on l’a vu récemment. La seconde responsabi­lité, c’est qu’en attendant que les choses changent, le comporteme­nt au volant est un acte personnel.

Même si chacun, piéton et cycliste inclus, doit être attentif dans la rue, le danger et la capacité de désagrémen­t des voitures sont sans commune mesure. Quelle que soit la cause de la congestion, chacun se doit de ne pas contribuer à rendre des milieux de vie… invivables.

La voiture individuel­le est un système de transport qui, par son succès, produit les conditions de sa faillite

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