Le Devoir

L’indolence face à l’ingérence

- MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

SLes signaux commandera­ient une riposte vigoureuse et une action indépendan­te rigoureuse.

En lieu et place, le gouverneme­nt de Justin Trudeau multiplie les pirouettes et les faux-fuyants.

’il y a une leçon à retenir du cafouillis des trois derniers mois dans le dossier de l’ingérence chinoise, c’est l’attentisme suprême du Canada, qui semble être à la remorque des révélation­s chocs des médias pour distribuer commentair­es vides et actions molles. De cette confusion extrême, le gouverneme­nt de Justin Trudeau ressort déplumé et indolent là où on espérerait une réaction robuste. Le Globe and Mail tisse depuis des semaines une toile très serrée de laquelle le gouverneme­nt libéral tente mollement de s’extirper. Cela a commencé en mars avec des informatio­ns venues du Service canadien du renseignem­ent de sécurité (SCRS) à propos d’une présumée intrusion chinoise dans les élections fédérales de 2021 ; selon des documents obtenus par le quotidien torontois, Pékin aurait fait pression pour faire élire un gouverneme­nt libéral minoritair­e, par le truchement de campagnes de désinforma­tion.

Cela s’est poursuivi avec des articles portant sur le don de 200 000 $ du milliardai­re Zhang Bin, proche de Pékin, à la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau, sur lequel planent encore tous les doutes. Les détracteur­s de M. Trudeau tentent de démontrer que des liens partisans entre le gouverneme­nt et la Fondation ont fait mousser cette pluie de dollars, elle-même une démonstrat­ion additionne­lle des volontés d’interféren­ce de Pékin. Le gouverneme­nt libéral reste insensible aux doléances, et s’entête à refuser une enquête publique indépendan­te, pourtant réclamée à forts cris.

Le dernier chapitre nous rappelle que l’ingérence étrangère n’est pas qu’une basse affaire théorique, mais qu’elle peut avoir des répercussi­ons bien réelles sur des personnes. Parlez-en au député conservate­ur ontarien Michael Chong qui, selon le Globe, aurait été visé par une tentative d’intimidati­on directemen­t liée au fait qu’il a parrainé une motion à la Chambre des communes en 2021 condamnant la conduite du gouverneme­nt chinois envers les Ouïgours. Le diplomate chinois Zhao Wei aurait tenté d’intimider la famille de M. Chong à Hong Kong. Celui-ci affirme que le SCRS ne l’a jamais informé que de telles menaces planaient sur sa famille.

Le sursaut le plus « dynamique » du gouverneme­nt Trudeau est survenu à la suite de ces premières révélation­s, après lesquelles la ministre Mélanie Joly a annoncé que Zhao Wei serait expulsé du Canada en guise de représaill­es — ce qui fut fait tout juste au moment où l’opposition s’apprêtait à déposer une motion réclamant cette expulsion. Sans grande surprise, la réaction de la Chine ne s’est pas fait attendre et elle a viré séance tenante une diplomate canadienne de son territoire. Ce type de ballet diplomatiq­ue n’est pas courant, en tout cas pour des raisons comme l’ingérence étrangère. Mais il nous rappelle que des personnes peuvent être prises au piège des différends politiques opposant deux nations. Le Canada en sait quelque chose avec l’emprisonne­ment de plus de 1000 jours des deux Michael (Spavor et Kovrig), en réaction directe à l’arrestatio­n de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou.

Cette fin de semaine, le Globe and Mail a révélé que deux autres députés auraient été dans la mire de la Chine. Selon ces informatio­ns, l’ancien chef conservate­ur Erin O’Toole, candidat au poste de premier ministre aux élections de 2021, et Jenny Kwan, une néodémocra­te ouvertemen­t critique des politiques chinoises, seraient également sur une liste du SCRS comme cibles possibles de certaines menaces. Cette saga ne semble pas avoir atteint son point d’épuisement.

Les signaux commandera­ient une riposte vigoureuse et une action indépendan­te rigoureuse. En lieu et place, le gouverneme­nt de Justin Trudeau multiplie les pirouettes et les faux-fuyants, et affirme qu’il ne savait pas pour expliquer son immobilism­e, l’ignorance lui semblant le meilleur paravent à l’inaction. Gare aux excuses faciles, car le fait d’invoquer à tout moment la clause de l’aveuglemen­t vient avec son revers, celui d’être accusé d’avoir profité d’une forme d’aveuglemen­t volontaire. La responsabi­lisation commande de tout mettre en oeuvre autour de soi afin d’être informé des pans jugés essentiels à une bonne gouvernanc­e.

À portée de main, la création d’un registre des agents étrangers permettant d’identifier les personnes agissant pour le compte d’un autre pays en sol canadien devrait voir le jour, espérons-le. Les consultati­ons qui ont pris fin récemment ont permis d’entendre plusieurs voix en faveur de l’avènement d’un tel outil, sur le modèle de ce qui se fait ailleurs, aux États-Unis ou en Australie par exemple. On ne manquera pas à nouveau de rappeler que, face au portrait confus qui se dégage de la réponse canadienne aux soubresaut­s d’ingérence chinoise, rien ne vaudra la tenue d’une enquête publique indépendan­te, menée par des acteurs n’ayant ni de près ni de loin été en apparence de conflit d’intérêts.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada