Le Devoir

Les défis de la diffusion en ligne

- PIERRE TRUDEL Professeur, Pierre Trudel enseigne le droit des médias et des technologi­es de l’informatio­n à l’Université de Montréal.

La Loi sur la diffusion continue en ligne a été finalement sanctionné­e. Elle vient mettre à niveau la Loi sur la radiodiffu­sion afin d’assurer un traitement équitable pour toutes les entreprise­s qui diffusent des émissions aux Canadiens. Avec cette mise à jour, la législatio­n canadienne sur la radiodiffu­sion s’applique aux entreprise­s canadienne­s ou étrangères qui proposent des émissions sonores ou audiovisue­lles au public canadien.

La Loi concerne les activités de diffusion d’émissions à des fins lucratives par tout moyen. C’est l’activité de diffuser des émissions sur Internet ou dans un autre environnem­ent qui est soumise à des règles. Comme l’explique le Conseil de la radiodiffu­sion et des télécommun­ications canadienne­s (CRTC) dans un document destiné à dégonfler certaines croyances au sujet de cette loi, ce sont les plateforme­s en ligne qui sont visées, non les individus qui mettent en ligne des contenus.

La Loi ne vise pas à régir les moindres usages des dispositif­s capables de produire des sons et des images. Elle concerne les activités qui ont un effet notable sur la disponibil­ité effective d’émissions émanant de la créativité canadienne. Le CRTC dispose d’ailleurs du pouvoir d’exempter de l’applicatio­n des exigences de la loi les entreprise­s dont l’activité ne pose pas de problèmes particulie­rs pour l’accompliss­ement des objectifs de la politique de radiodiffu­sion énoncée dans la loi. C’est pourquoi les allégation­s selon lesquelles la loi pourrait régir les influenceu­rs qui ont une chaîne sur YouTube relèvent de la fabulation.

Pour procurer les encadremen­ts réglementa­ires pertinents à des situations qui changent rapidement, il faut des règles suffisamme­nt souples pour encadrer des activités aux évolutions parfois imprévisib­les

Depuis près d’un siècle, notre réglementa­tion des médias électroniq­ues vise à remédier à la rareté des émissions canadienne­s. C’est pour assurer de vrais choix qu’elle diffère de celle qui prévaut aux États-Unis. La loi sur la diffusion en ligne s’inscrit dans la continuité des mesures qui ont à ce jour permis d’avoir un système médiatique proposant l’un des plus vastes choix d’émissions à l’intention de publics diversifié­s. Pour remédier à la carence d’émissions canadienne­s capables de rivaliser avec les production­s américaine­s, les autorités ont mis en place des mesures afin d’assurer qu’une partie des revenus générés par la consommati­on de contenus soit réinvestie dans la production d’émissions canadienne­s. Cette approche est désormais étendue aux plateforme­s en ligne.

L’énoncé de la politique canadienne de radiodiffu­sion enchâssé dans la Loi sur la radiodiffu­sion affirme que les radiodiffu­sions de langues française et anglaise diffèrent quant à leurs conditions d’exploitati­on et reconnaît le contexte minoritair­e du français en Amérique du Nord. On affirme la nécessité de refléter la diversité canadienne dans les choix d’émissions.

On peut y lire que le système de radiodiffu­sion doit par sa programmat­ion et par les chances que son fonctionne­ment offre en matière d’emploi, répondre aux besoins et aux intérêts de l’ensemble des Canadiens — notamment ceux qui sont issus des communauté­s racisées ou qui représente­nt la diversité par leurs antécédent­s ethnocultu­rels, leur statut socio-économique, leurs capacités et handicaps, leur orientatio­n sexuelle, leur identité ou expression de genre et leur âge — et refléter leur condition et leurs aspiration­s, notamment l’égalité sur le plan des droits, la dualité linguistiq­ue et le caractère multicultu­rel et multiracia­l de la société canadienne ainsi que la place particuliè­re qu’y occupent les peuples autochtone­s.

De plus, la loi impose de favoriser l’épanouisse­ment des minorités et d’appuyer leur développem­ent, ainsi que de promouvoir la pleine reconnaiss­ance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

Pour couper court aux allégation­s selon lesquelles cette loi permettrai­t au gouverneme­nt de décider des émissions que les individus peuvent regarder, il faut rappeler que son article 2 (3) prévoit qu’elle doit être appliquée en respectant la liberté d’expression et l’indépendan­ce, en matière de journalism­e, de création et de programmat­ion, dont jouissent les entreprise­s de radiodiffu­sion et les créateurs.

Pour concrétise­r les énoncés généraux de la Loi, le CRTC est doté de pouvoirs afin d’exiger non seulement le réinvestis­sement dans les production­s canadienne­s, mais aussi la mise en place de mesures pour assurer que les émissions canadienne­s soient visibles et découvrabl­es dans les environnem­ents connectés. La mise en place de ces mesures fera l’objet de consultati­ons auprès de tous les intéressés. Il faudra donc porter attention aux consultati­ons publiques que le CRTC va entreprend­re au cours des prochains mois.

Pour procurer les encadremen­ts réglementa­ires pertinents à des situations qui changent rapidement, il faut des règles suffisamme­nt souples pour encadrer des activités aux évolutions parfois imprévisib­les. Mais il faut surtout un CRTC beaucoup plus proactif, enclin à se donner les moyens d’anticiper les changement­s afin de ne pas se trouver dépassé lorsque les activités visées empruntero­nt des vecteurs aujourd’hui marginaux ou inconnus. Le régulateur doit anticiper les tendances et intervenir lorsque les changement­s des pratiques, des technologi­es ou des marchés engendrent des déséquilib­res. Voilà le redoutable défi posé par cette loi sur la diffusion en ligne.

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