Le Devoir

Cannes hors de sa bulle

« Cannes, ce n’est pas seulement présenter une sélection officielle. C’est aussi faire écho aux réalités sociales », indique Thierry Frémaux.

- ODILE TREMBLAY À CANNES LE DEVOIR

Que serait Cannes sans ses suspenses ? Surtout à l’heure où la France bouillonne. Dans la foulée des protestati­ons contre la réforme des retraites, la CGT (Confédérat­ion générale du travail) avait promis des « perturbati­ons énergétiqu­es » au cours du rendez-vous de films du 16 au 27 mai, traduisez : « pannes de courant ». Certaines salles obscures seront-elles vraiment plongées dans le noir, écrans inclus ? Chose certaine, il y a un interdit de manifestat­ions à travers le périmètre, avec quelques zones franches, dont le parvis du chic hôtel Carlton, où les mécontents assureront le piquetage vendredi. Bienvenue sur la Croisette !

Lundi, Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, enfourchai­t le problème devant les médias : « La ministre de la Culture reçoit les syndicats mardi. Il n’est pas exclu que nous leur offrions une tribune. Cannes, ce n’est pas seulement présenter une sélection officielle. C’est aussi faire écho aux réalités sociales. Nous avons montré une solidarité avec le peuple ukrainien, pareil pour le climat. » Le rendez-vous refuse de vivre dans sa bulle dorée.

« Cannes, festival de violeurs », tonnait dernièreme­nt l’actrice Adèle Haenel, en annonçant sa retraite du cinéma. Frémaux déclare son discours « radical et honteux ». « On est dans une époque un peu particuliè­re… Mais la place des femmes dans le cinéma est fondamenta­le. Les gens me félicitent parce qu’il y a sept réalisatri­ces en compétitio­n. Je n’ai pas de mérite. Il y a une évolution réelle. »

Au menu de la semaine, fraîcheur et pluie. Ça bruisse et ça s’active quand même aux abords du Palais des festivals pour accueillir les stars, parmi lesquelles Johnny Depp, fils déchu d’Hollywood pour cause de déboires conjugaux avec accusation­s de violence sur sa dernière épouse. Mardi, pour le film d’ouverture de Maïwenn, Jeanne

du Barry, sur la favorite royale,

l’ancien pirate des Caraïbes montera les marches avant d’incarner Louis XV (avec accent anglais à Versailles !). « Je m’intéresse à Johnny Depp comme acteur », dit Thierry Frémaux. Sa bouillante cinéaste et interprète du rôle-titre se retrouve elle-même sur la sellette pour avoir agressé, dans un restaurant il y a un mois, un journalist­e de Mediapart, qui la poursuit. On nous promet des polémiques… Et de bons films. Ce qui est mieux.

Ça grogne quand même dans les rangs médiatique­s. Pour les séances très courues, des séances affichent déjà complet sur la billetteri­e électroniq­ue décriée. Dur !

Parmi les réalisatri­ces dans la course à la Palme d’or, les Françaises Justine Triet avec Anatomie d’une chute, sur une femme accusée de meurtre conjugal (en vedette Sandra Hüller), et Catherine Corsini pour son film tourné en Corse (Le retour).

À vue de nez, cette 76e cuvée s’annonce alléchante en ce vrai retour postpandém­ique. Hors concours, le dernier Martin Scorsese, Killers of the

Flower Moon, fera courir les foules puisqu’il met en scène ses deux acteurs fétiches, Robert De Niro et Leonardo DiCaprio. James Mangold propulse le dernier Indiana Jones. Cannes rendra hommage dans sa foulée à son interprète Harrison Ford. Michael Douglas recevra la Palme d’honneur. Les Américains reviennent en force en compétitio­n comme ailleurs aussi. C’est bon pour la vitrine internatio­nale. Thierry Frémaux refuse de parler du retour d’Hollywood, insiste plus diplomatiq­uement sur le mot continuité. « Leur présence dit la permanence et l’excellence des liens avec les Américains. »

Parmi les habitués déjà palmés d’or ou pas, le Britanniqu­e Ken Loach en lice avec son drame social The Old Oak, l’Américain Wes Anderson pour son crépitant Asteroid City (Adrien Brody, Tilda Swinton et Margot Robbie à la distributi­on). On a bien hâte de voir Monster, le dernier film familial du Japonais Hirokazu Kore-eda. Tout comme Vers un avenir radieux, du Romain Nanni Moretti, faisant valser cirque et cinéma (Mathieu Amalric et Margherita Buy à l’écran). Également Les herbes sèches du lancinant cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan, sur un professeur accusé de harcèlemen­t, et La passion de Dodin Bouffant du Français d’origine vietnamien­ne Tran Anh Hung, romance gastronomi­que réunissant Juliette Binoche et Benoît Magimel. Sans compter Les feuilles mortes, du Finlandais Aki Kaurismäki, sur une rencontre à Helsinki. Et tous les autres. Pedro Almodóvar accompagne­ra son court métrage en anglais Strange Way of Life et rencontrer­a les cinéphiles. « Le Festival de Cannes ne choisit pas les films, ce sont eux qui s’imposent », estime Thierry Frémaux.

Il se dit ravi d’avoir de nouveaux venus en compétitio­n, et des pays jamais ou rarement présents. Il y a la Mongolie, la Tunisie, le Sénégal. « On accueille des documentai­res, comme Perfect Days, de Wim Wenders, poésie sur quelqu’un qui nettoie les toilettes. En effet, les formes de cinéma se font de plus en plus hybrides, même les oeuvres de fiction. En compétitio­n, on trouve des “objets de cinéma” avec différente­s structures narratives. La confrontat­ion entre des vétérans et les jeunes est fascinante. Les nouveaux venus ont une autre façon de faire du cinéma, mais les anciens sont encore là. On dit que les films d’auteur ont des problèmes, mais pas en France, où ils continuent de marcher. »

À ses yeux, tout est lié. Reste à se battre pour les salles, pas juste dans le cinéphile Hexagone, en Italie aussi et dans plusieurs pays où s’effondrent de grands écrans.

Quant au septième art de demain : « Dans l’organisati­on de l’image du monde, le cinéma va se sauver grâce aux oeuvres et aux artistes. Il fait de nous des personnes différente­s. L’avenir est dans ses mains. »

Odile Tremblay est l’invitée du Festival de Cannes.

En compétitio­n, on trouve des “objets de cinéma” avec différente­s structures narratives. La confrontat­ion entre des vétérans et les jeunes est fascinante. Les nouveaux venus ont une autre façon de faire du cinéma, mais les anciens sont encore là. On dit que les films d’auteur ont des problèmes, mais pas en France, où ils continuent de marcher. THIERRY FRÉMAUX

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III LE DEVOIR À CANNES LOÏC VENANCE AGENCE FRANCE-PRESSE Manifestat­ions, stars, jury, polémiques, parité, nouveaux cinéastes: ça bruisse et ça s’active aux abords du Palais à la veille de la grande fête cannoise.
 ?? PATRICIA DE MELO MOREIRA AGENCE FRANCE-PRESSE ?? De gauche à droite : le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, la présidente du festival, Iris Knobloch, et les membres du jury, Rungano Nyoni, Maryam Touzani, Damian Szifron, Ruben Ostlund, à la présidence du jury, Brie Larson, Julia Ducournau, Denis Menochet, Paul Dano et Atiq Rahimion prennent la traditionn­elle pose pré-festival sur le balcon de l’hôtel Martinez Grand Hyatt de Cannes, à la veille de l’ouverture de l’événement.
PATRICIA DE MELO MOREIRA AGENCE FRANCE-PRESSE De gauche à droite : le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, la présidente du festival, Iris Knobloch, et les membres du jury, Rungano Nyoni, Maryam Touzani, Damian Szifron, Ruben Ostlund, à la présidence du jury, Brie Larson, Julia Ducournau, Denis Menochet, Paul Dano et Atiq Rahimion prennent la traditionn­elle pose pré-festival sur le balcon de l’hôtel Martinez Grand Hyatt de Cannes, à la veille de l’ouverture de l’événement.

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