Le Devoir

Guilbeault n’interdit pas les forages pétroliers dans les « refuges marins »

- ALEXANDRE SHIELDS PÔLE ENVIRONNEM­ENT LE DEVOIR

Le ministre fédéral de l’Environnem­ent, Steven Guilbeault, ne ferme pas la porte aux forages pétroliers dans les « refuges marins » créés pour protéger la biodiversi­té. Le gouverneme­nt Trudeau a d’ailleurs approuvé la mise aux enchères de 14 permis qui empiètent sur le plus important refuge de la côte est. Les groupes environnem­entaux dénoncent toutefois cette porte ouverte à l’industrie, alors qu’Ottawa commence l’élaboratio­n de sa « stratégie 2030 » pour la biodiversi­té.

Au moment où le ministre Guilbeault annonçait lundi à Montréal le début des « consultati­ons » en vue du plan canadien découlant des engagement­s pris lors de la récente conférence de l’ONU sur la biodiversi­té (COP15), la pétrolière BP avait déjà entamé le premier forage exploratoi­re dans le plus important refuge marin établi au large des côtes de Terre-Neuveet-Labrador.

Faudrait-il fermer la porte à ce genre de projet dans le cadre de la future stratégie, qui doit permettre de protéger 30 % des écosystème­s marins d’ici la fin de la décennie ? « L’exploitati­on des ressources naturelles est de compétence provincial­e », a d’abord répondu le ministre Steven Guilbeault. « Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas travailler avec les provinces pour établir des zones où il n’y aura pas d’activités industriel­les », a-t-il ajouté, sans plus de détails.

Le forage de BP, qui avait fait l’objet d’une évaluation environnem­entale fédérale, a reçu l’autorisati­on finale le 5 mai dernier de la part de l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbu­res extracôtie­rs. Cet organisme, qui est administré par des représenta­nts provinciau­x et du gouverneme­nt canadien, a aussi lancé récemment un appel d’offres pour de nouveaux permis d’exploratio­n pétrolière. Pas moins de 14 de ces permis, totalisant 22 757 km2, empiètent en partie ou en totalité sur le refuge marin de 55 000 km2 où BP vient de lancer son forage.

Le ministre Guilbeault affirme toutefois que le gouverneme­nt fédéral se conforme aux règles internatio­nales en matière de protection des milieux naturels et des espèces qui en dépendent. « En termes d’élaboratio­n des aires protégées et de l’atteinte de nos objectifs, nous suivons les lignes directrice­s de l’Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature, qui prévoient différente­s catégories de protection. C’est ce qui guide l’action de notre gouverneme­nt », a-t-il fait valoir lundi, en réponse à une question du Devoir.

Les refuges marins sont considérés comme d’« autres mesures de conservati­on efficaces par zone » (AMCE), selon les règles de l’Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature (UICN). Dans un rapport produit en 2019 par le Groupe de travail sur les AMCE de la Commission mondiale des aires protégées de l’UICN, on souligne que « les activités industriel­les et le développem­ent d’infrastruc­tures portant préjudice à l’environnem­ent ne devraient pas se produire dans les AMCE ».

Critiques

« L’exclusion d’activités industriel­les dans les refuges marins est un strict minimum pour respecter les standards internatio­naux de l’UICN », estime d’ailleurs le directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec, Alain Branchaud. « En étirant l’élastique du compromis, Ottawa mine sa crédibilit­é, entretient le cynisme ambiant et ne remplit pas sa mission de protection de la biodiversi­té », ajoute-t-il.

« Les gouverneme­nts décrédibil­isent leurs propres initiative­s de protection du territoire quand ils autorisent du forage dans un refuge marin, des coupes forestière­s dans des aires protégées ou des projets industriel­s sur des terres agricoles. Après la COP15, on s’attend à plus de sérieux et plus de cohérence », a également souligné Marc-André Viau, directeur des relations gouverneme­ntales pour Équiterre, une organisati­on cofondée par Steven Guilbeault.

Même son de cloche du côté d’AnneCéline Guyon, chargée de projet et experte climat chez Nature Québec. «On doit fermer la porte aux forages pétroliers. Nous sommes en crise climatique et en crise de la biodiversi­té. Il n’y a plus de place pour de nouvelles infrastruc­tures et de nouveaux forages », a-t-elle fait valoir, en marge du point de presse du ministre Guilbeault.

Dans la foulée des engagement­s pris lors de la COP15, le gouverneme­nt promet en effet de mettre en oeuvre une « stratégie nationale » qui a notamment pour objectif de protéger 30 % des milieux naturels terrestres et marins du Canada d’ici 2030. Les refuges marins, qui sont ouverts à la recherche d’énergies fossiles, font partie des mesures pour atteindre cet objectif. « La nature ne peut plus attendre. C’est maintenant qu’il faut agir », a fait valoir Steven Guilbeault lors de son point de presse lundi matin.

En étirant l’élastique du compromis, Ottawa mine sa crédibilit­é, entretient le cynisme ambiant et ne remplit pas sa mission de protection »

de la biodiversi­té ALAIN BRANCHAUD

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