Le Devoir

Deux poids, deux mesures

- MICHEL DAVID

Les écarts qu’on constate dans le secteur privé ne devraient pas être transposés dans l’appareil public

Personnage central dans un gouverneme­nt, le chef de cabinet d’un premier ministre est à la fois son alter ego, son ange gardien et son homme de main.

En leur temps, René Lévesque et Jean-Roch Boivin, Robert Bourassa et Mario Bertrand, Jacques Parizeau et Jean Royer, Pauline Marois et Nicole Stafford ont formé des couples mémorables, mais la symbiose entre François Legault et Martin Koskinen est du rarement vu.

Les deux hommes se sont rencontrés au Sommet de la jeunesse en 2000 et ils ne se sont plus jamais quittés. M. Legault répète à qui veut l’entendre qu’il ne serait jamais devenu premier ministre sans lui. Il lui confie également des tâches inhabituel­les pour un chef de cabinet.

Non seulement M. Koskinen a son mot à dire dans toutes les décisions importante­s, mais il donne aussi des entrevues à la place du premier ministre et se charge maintenant de rabrouer les chroniqueu­rs jugés trop complaisan­ts envers ses adversaire­s.

On peut très bien comprendre qu’il lui soit reconnaiss­ant. D’ailleurs, personne ne conteste sa compétence, qui en fait un top gun dans sa profession, mais pourquoi les contribuab­les devraient-ils financer la reconnaiss­ance du premier ministre ?

Même s’il pourrait gagner le double ou le triple dans le secteur privé, une hausse immédiate de 31 %, qui porte son salaire à 301 063 $, ne peut que paraître indécente aux yeux des travailleu­rs du secteur public, qui se voient offrir des augmentati­ons totalisant 9 % en cinq ans sous prétexte que l’État n’a pas les moyens de faire mieux et que les contribuab­les québécois sont déjà les plus taxés en Amérique du Nord.

Le cas de M. Koskinen est particuliè­rement spectacula­ire, mais les plus importante­s augmentati­ons consenties à de hauts fonctionna­ires, qui vont de 16,8 % à 27,3 %, sont également impression­nantes.

Si, à l’époque de la Révolution tranquille et de la constructi­on d’un État moderne, le service public pouvait apparaître comme une aventure exaltante, voire une sorte de mission qui justifiait certains sacrifices, le secteur privé lui fait aujourd’hui une concurrenc­e qui est difficile à soutenir.

Dans toute la mesure du possible, l’État doit faire en sorte d’attirer et de retenir les meilleurs éléments, mais il a aussi un devoir d’équité salariale envers ses employés qui travaillen­t dans des domaines, comme la santé ou l’éducation, où il détient un quasimonop­ole qui les rend prisonnier­s de son bon vouloir.

Il va de soi que tous les métiers et profession­s ne peuvent pas être rémunérés au même niveau, mais les écarts qu’on constate dans le secteur privé ne devraient pas être transposés dans l’appareil public. Qu’il s’agisse de la rémunérati­on de ses collaborat­eurs ou de l’éthique de ses ministres, M. Legault semble parfois confondre les deux.

Un enseignant ayant entre 5 et 10 ans d’expérience gagne en moyenne 16 000 $ de moins au Québec qu’ailleurs au Canada, alors que les députés de l’Assemblée nationale s’apprêtent à s’octroyer un salaire de base supérieur de 10 830 $ à celui que reçoivent les parlementa­ires les mieux rémunérés dans une autre province, soit ceux de l’Alberta. Autrement dit, le système scolaire québécois, que le Conseil supérieur de l’éducation a qualifié de plus inégalitai­re au pays, ce que nie énergiquem­ent le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, est donc tout aussi inéquitabl­e pour les enseignant­s que pour les élèves.

Lundi dernier, le ministre a crié à la démagogie quand je lui ai demandé, en entrevue à la table éditoriale du Devoir, comment il pouvait expliquer cette iniquité. « Tu compares vraiment le job d’enseignant au job de député ? Tu es en train de me dire que ça se compare » ? a-t-il lancé, comme s’il avait vu dans cette question un véritable crime de lèseparlem­entarisme.

À bien y penser, il est en effet difficile de comparer le travail effectué par un député dans la quiétude du parlement et celui d’un enseignant qui doit gérer cinq jours semaine une classe de 30 élèves dont le quart souffrent de problèmes d’apprentiss­age.

On pourrait dire la même chose des infirmière­s, qui se tuent à la tâche et qui sont nettement souspayées par rapport à leurs collègues des autres provinces. À moins de quitter le Québec ou de réorienter leur carrière, quelle autre possibilit­é ont-elles alors que le gouverneme­nt s’apprête à abolir les agences privées ?

Le ministère des Finances prévoit que le fameux « écart de richesse » avec l’Ontario, au sujet duquel M. Legault nous rebat continuell­ement les oreilles, sera comblé vers 2035-2036. Les parlementa­ires semblent considérer que c’est déjà chose faite, mais le secteur public devra manifestem­ent patienter.

De façon plus immédiate, le gouverneme­nt doit surtout en arriver à une entente avec ses employés. Les propos maladroits de M. Drainville ne sont malheureus­ement pas de nature à faciliter la négociatio­n avec les syndicats d’enseignant­s, qui ont voulu y voir une condescend­ance, voire un mépris qu’il n’éprouve certaineme­nt pas, ni à les inciter à contribuer au succès des réformes qu’il a lui-même proposées.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada