Un voyage crucial en Asie pour Trudeau
L’auteur est un ancien stratège conservateur. Il a été conseiller politique dans le gouvernement Harper ainsi que dans l’opposition.
Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, est à Séoul pour sa première visite officielle en presque huit années de pouvoir afin de souligner soixante ans de relations diplomatiques. Le président américain, Joe Biden, lui, a effectué sa première visite en Corée du Sud en mai 2022, soit seize mois après son entrée en fonction. Vendredi, ils seront tous les deux au Japon pour le sommet du G7 à Hiroshima. Le choix de cette ville est un symbole pour le monde.
À Hiroshima, les discussions se concentreront sur le soutien à l’Ukraine et sur la volonté de tenir tête à la Russie. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, y participera virtuellement. La relation avec la Chine sera aussi un élément crucial des discussions.
En avril dernier, le président français, Emmanuel Macron, avait surpris à son retour de Chine en parlant ouvertement d’une « autonomie stratégique » européenne à construire, estimant que le statut de « suivistes » des politiques américaines avec la Chine ou Taïwan ne pouvait que conduire « à une surréaction chinoise ». Il sera intéressant de voir si le président Macron reviendra sur ses paroles dans le communiqué final du G7.
À Séoul, il a plutôt été question de commerce, d’exportation de gaz naturel liquéfié canadien vers l’Asie et de minéraux critiques, entre autres. Oui, le Canada en a, mais encore faut-il les exploiter et les exporter, ce qui est loin d’être acquis.
Le premier ministre Trudeau a vanté l’accroissement des échanges entre le Canada et la Corée du Sud grâce à l’accord de libre-échange conclu et appliqué par Stephen Harper en un temps record. Les négociations ont été conclues en mars 2014, l’accord signé en septembre 2014 pour entrer en vigueur en janvier 2015.
La carte canadienne
À l’époque, les négociations entre le Canada et la Corée du Sud étaient dans une impasse, et ce, depuis 2008. L’année précédente, Séoul avait signé un accord de libre-échange avec les États-Unis. La Corée du Sud n’était donc pas pressée de conclure un accord ou même de concéder quoi que ce soit au Canada. Au jeu des négociations commerciales, le premier à conclure a toujours l’avantage.
Mais le gouvernement Harper ne voulait pas que nos exportations fassent les frais de l’accès privilégié négocié par Washington. La relation militaire et diplomatique entre les États-Unis et la Corée du Sud avait joué pour beaucoup dans ces négociations commerciales. Même si nos soldats ont participé à la guerre de Corée de 1950 à 1953, le Canada était loin de faire le poids.
L’élément déclencheur qui a permis de ramener Séoul à la table des négociations a été les négociations du Partenariat transpacifique (PTP). Son voisin, le Japon, voulait se joindre au PTP. La Corée du Sud ne voulait pas qu’il profite seul d’un tel accès privilégié en Amérique du Nord.
Or, le Canada s’était joint au PTP en marge du sommet du G20 de Los Gabos, en juin 2012, et il avait participé à sa première série de négociations en octobre 2012. Sa place à la table était une bonne carte à jouer, le Japon et la Corée du Sud ayant besoin de l’approbation des membres existants pour y entrer.
Le Canada négociait un accord de libre-échange avec le Japon depuis mars 2012. Cependant, la priorité du Japon est vite devenue le PTP. Or, le Japon ne voulait pas accorder au Canada le même traitement que celui concédé aux États-Unis. Son argument était que nos économies ne sont pas de la même taille.
Pour le gouvernement Harper, il était inconcevable que les États-Unis aient un meilleur accès au Japon, au risque de déséquilibrer toute la chaîne de production automobile. On le voit aujourd’hui avec la lutte pour le marché des véhicules électriques. Hyundai a investi 5 milliards pour une usine en Géorgie tandis que le Canada attirait à gros prix Volkswagen chez lui. Stellentis et LG veulent maintenant renégocier, au vu des montants reçus par le constructeur allemand pour un investissement à Windsor.
Au terme de rudes négociations avec le ministre Akira Amari, le Japon a consenti aux demandes canadiennes en marge d’un forum de l’AsiePacifique en avril 2013. Le Canada exaucé, le Japon s’est officiellement joint au PTP en mai 2013.
L’accord du PTP, qui incluait les États-Unis (à l’époque), a été signé en pleine campagne électorale de 2015. La Corée du Sud n’a pas fait son entrée dans le PTP, mais le Canada peut depuis compter sur un accord bilatéral de libre-échange grâce à cette géopolitique.
Une image ternie
Tout ceci pour dire que le Japon et la Corée du Sud ne sont pas naïfs sur les intentions de la Chine au G7. Chacun à leur tour, ils paient le prix de sa géopolitique. Que ce soit par des représailles économiques directes de la Chine, des tirs de missiles de la Corée du Nord ou des démonstrations militaires dans la mer du Japon.
Le Japon investit massivement dans son armée depuis son changement de politique sous l’ancien premier ministre Abe, avec l’objectif de 2 % de son PIB, et un budget de 320 milliards de dollars. Cependant, le Japon continue de s’approvisionner en hydrocarbures auprès de la Russie, par nécessité, et ce, malgré les sanctions internationales.
Le gouvernement Trudeau, lui, a finalement expulsé le diplomate chinois du consulat de Toronto, qui tentait d’intimider le député conservateur Michael Chong et sa famille. Il était impensable que Justin Trudeau se présente devant le G7 sans avoir réagi aux actions du régime de Beijing.
On se souviendra qu’en mai 2016, Justin Trudeau était au Japon pour participer au même sommet du G7. Il avait profité de son voyage pour prendre une journée de congé et célébrer son anniversaire de mariage dans un ryokan, une auberge traditionnelle japonaise avec des bains chauds. Cela avait été vu comme un signe de modernisme pour un premier ministre Trudeau encensé à l’époque.
Il avait précisé que cette journée était à ses frais. Aujourd’hui, il refuse de dire s’il a payé le coût de son séjour dans une villa en Jamaïque, à Noël dernier. L’image rafraîchissante de Justin Trudeau, en 2016, est aujourd’hui ternie. Sa chute a entraîné le Canada avec lui. Un sondage de la firme Angus Reid publié mardi indique que la bonne ou très bonne réputation du Canada à l’étranger a fléchi de 33 points depuis 2018, selon nos concitoyens, pour atteindre 51 % aujourd’hui.