Le Devoir

Resserreme­nt du crédit tous azimuts

- GÉRARD BÉRUBÉ

Le resserreme­nt des conditions et modalités de crédit, tant craint ou souhaité, s’est matérialis­é en accéléré au premier trimestre. Il accompagne une forte augmentati­on des dossiers d’insolvabil­ité. Les banques centrales ont-elles matière à se réjouir ? Il a déjà été écrit qu’un secteur bancaire américain sous forte pression a pour effet d’accentuer les effets de l’austérité monétaire et de la détériorat­ion des conditions et du coût de crédit. Obtenir des prêts devient plus difficile et plus coûteux, ce qui grossit l’effet produit par la hausse musclée du taux directeur, lui-même amplifié par la fin de l’assoupliss­ement monétaire quantitati­f.

Le 5 mai, le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, se montrait plutôt soucieux. Compte tenu du niveau élevé d’endettemen­t des ménages, « si le stress financier devait conduire à un resserreme­nt plus important que prévu et persistant, nous devrions en tenir compte dans nos décisions concernant le taux directeur », disait-il

La veille, il était permis de déduire des propos du président de la Réserve fédérale américaine (Fed) que la crise bancaire apporte aussi un soutien inattendu à la lutte contre l’inflation. En commandant une nouvelle hausse de 25 points de base de son taux directeur, le Comité monétaire soulignait notamment que « le resserreme­nt des conditions de crédit pour les ménages et les entreprise­s est susceptibl­e de peser sur l’activité économique, les embauches et l’inflation ».

Ces conditions se resserrent rapidement. Aux ÉtatsUnis, il ressort d’une enquête auprès des responsabl­es du crédit (le Senior Loan Officer Opinion Survey on Bank Lending Practices) que les banques ont été plus nombreuses à durcir leurs conditions de crédit sur un éventail plus grand de prêts au premier trimestre. C’est sans surprise, mais la principale préoccupat­ion vient du fait qu’elles affirment dans ce sondage vouloir resserrer davantage, « ce qui pénalisera­it les entreprise­s et les ménages et accélérera­it la marche vers la récession », retient la firme d’analyses Oxford Economics.

La part des banques durcissant leurs normes en matière de prêts commerciau­x et industriel­s a été de 47 % au premier trimestre, à peine plus élevée qu’au quatrième trimestre de 2022 (44 %). C’est loin de l’estimation de 60 % évoquée dans un sondage de la Réserve fédérale de Dallas. « Mais les perspectiv­es laissent présager un mouvement accru de resserreme­nt des normes et critères pour le reste de l’année, et ce, plus directemen­t envers les PME », reconnues pour être fortement créatrices d’emplois.

Parmi les plus importante­s causes citées, on retient la détériorat­ion de la valeur du collatéral et la baisse de la qualité du crédit dans les portefeuil­les, au rythme de la décélérati­on de l’activité économique. Pour les institutio­ns, on évoque une réduction de la tolérance au risque et une préoccupat­ion concernant les coûts de financemen­t, les niveaux de liquidité et les sorties de dépôt.

La demande de prêts décroît également, avec 46 % des institutio­ns rapportant une demande plus faible, « soit le pourcentag­e le plus important depuis 2009 », souligne l’analyste Edward Moya. Notamment, 53 % des banques rapportent une demande plus faible venant des PME, un pourcentag­e similaire à celui observé au creux de la récession de 2008-2009. Et 70 % font état d’un recul de la demande dans le segment des prêts immobilier­s commerciau­x, soit le pourcentag­e le plus élevé depuis la mi-1990.

Chez les particulie­rs, 53 % des banques déclarent une demande plus faible de prêts hypothécai­res. Ce pourcentag­e s’élevait toutefois à 93 % au quatrième trimestre de 2022 lorsque les taux d’intérêt atteignaie­nt leur sommet, précise Oxford. Aussi, 15 % des banques rapportent une demande plus faible pour les prêts à la consommati­on, contre 26 % au quatrième trimestre de 2022, ce qui pourrait également témoigner du ralentisse­ment économique.

« Ce portrait est suffisant pour justifier une mise en pause de la hausse des taux directeurs de la Fed », conclut Oxford.

Même constat au Canada

Au pays, les résultats d’une enquête similaire, publiée par la Banque du Canada, vendredi dernier, illustrent une forte détériorat­ion des conditions générales de prêts au premier trimestre, après que celles-ci sont restées campées en territoire « Assoupliss­ement » depuis le deuxième trimestre de 2020, moment du début officiel de la pandémie. Le resserreme­nt mesuré du côté des prêts hypothécai­res est trois fois plus élevé que celui dans le segment des prêts non hypothécai­res. Et il se veut tout aussi ressenti, sinon davantage, en ce qui a trait aux modalités tarifaires et non tarifaires.

Pour les entreprise­s, on parle également d’une accélérati­on, mais plus légère, de la détériorat­ion des conditions de crédit après un passage en territoire « Resserreme­nt » au troisième trimestre de 2022. Et d’un resserreme­nt moins prononcé, mais tout de même réel des modalités.

Forte hausse de l’insolvabil­ité

Parallèlem­ent, les chiffres publiés la semaine dernière par le Bureau du surintenda­nt des faillites indiquent que le nombre de dossiers d’insolvabil­ité de consommate­urs au Canada a augmenté de 28,4 % au premier trimestre de 2023 par rapport au même trimestre de l’année précédente, « marquant la plus forte augmentati­on en pourcentag­e sur un an depuis 2009 ».

Chez les entreprise­s, le nombre de dépôts de dossiers d’insolvabil­ité poursuivai­t sa trajectoir­e ascendante au premier trimestre avec une hausse de 32,6 % sur un an. Il s’agit du cinquième trimestre d’affilée au cours duquel il a augmenté de plus de 30 % sur un an, selon l’Associatio­n canadienne des profession­nels de l’insolvabil­ité et de la réorganisa­tion.

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