Le Devoir

Québec paie pour attirer les étudiants étrangers alors qu’Ottawa les refuse

- SARAH R. CHAMPAGNE

Même si les deux ordres de gouverneme­nt souhaitent que les étudiants étrangers s’installent définitive­ment, ceux-ci font face à d’importante­s embûches tant pour leur attraction que pour leur rétention. Devant ces « incohérenc­es » documentée­s dans leur nouvelle étude, l’Institut du Québec (IdQ) recommande notamment d’accélérer l’accès à l’immigratio­n permanente pour les diplômés étrangers et de les inclure dans les consultati­ons à venir à Québec.

Près de la moitié des étudiants étrangers admis par une université québécoise se sont vu refuser le permis d’études par le gouverneme­nt fédéral, notent les auteurs du document. L’un des principaux motifs invoqués par Immigratio­n, Réfugiés et Citoyennet­é Canada (IRCC) était que « l’étudiant risquait de ne pas retourner dans son pays d’origine ».

Cette raison entre « en contradict­ion directe » avec l’objectif de les retenir après leur diplomatio­n, remarque Emna Braham, directrice générale de l’IdQ et coautrice de l’étude.

Comme l’avait démontré Le Devoir en 2021, les taux de refus des étudiants étrangers sont plus élevés au Québec qu’ailleurs au Canada. Ils sont notablemen­t hauts pour les étudiants africains et francophon­es et pour ceux qui étudient en région. L’IdQ constate maintenant que cette tendance s’est poursuivie en 2021 et en 2022 : 72 % des demandes de permis d’études effectuées par des étudiants d’origine africaine ont été refusées, « ce qui désavantag­e le Québec qui recrute surtout dans ce bassin », écrivent les deux experts et coauteurs de l’étude.

La province dépense pourtant des millions de dollars pour recruter à l’étranger. Seulement en 2021, le gouverneme­nt a conclu des ententes de près de six millions de dollars avec diverses organisati­ons pour « l’attraction et la rétention » d’étudiants étrangers. « Ils organisent aussi des activités pour inciter les étudiants à rester une fois qu’ils sont sur place », rappelle Daye Diallo, économiste principal à l’IdQ et coauteur de cette étude. Il cite également l’initiative Je choisis Montréal, qui s’adresse directemen­t à ce public. Les établissem­ents d’enseigneme­nt ont aussi leurs propres opérations de séduction à l’internatio­nal, ajoute sa collègue en entrevue.

« L’impact de ces investisse­ments pourrait toutefois être limité par des procédures qui n’ont actuelleme­nt plus leur raison d’être », dit ainsi Mme Braham. L’IdQ propose donc d’éliminer l’exigence de retourner dans son pays d’origine au moment d’accepter ou non une demande de permis d’études.

Un avenir bouché après les études ?

Malgré ces refus, le nombre de permis d’études a tout de même monté en flèche au Québec ces dernières années, passant de 37 900 en 2017 à plus de 54 000 en 2022. Ces personnes ont « d’importants atouts », comme le reconnaiss­ent déjà les pouvoirs publics. Ils ont vécu ici, se sont déjà adaptés, ont un réseau et un diplôme qui répond aux exigences québécoise­s, notent les deux auteurs. « C’est pour toutes ces raisons qu’ils sont considérés comme des candidats de choix », insiste la directrice de l’IdQ.

Le temps d’accès à la résidence permanente est également plus long ici que dans le reste du pays. Cette fois, les deux ordres de gouverneme­nt en sont responsabl­es.

D’une part, Québec exige une expérience de travail de 12 à 18 mois après la diplomatio­n avant d’accéder au Programme de l’expérience québécoise (PEQ). Cette voie d’accès à l’installati­on permanente a d’ailleurs connu une chute extrême des admissions depuis sa dernière réforme.

D’autre part, IRCC met plus de temps à traiter les demandes de résidence permanente provenant du Québec par rapport à celles venant des autres provinces. Ceux qui ont étudié en Ontario ou en Alberta, par exemple, peuvent accéder en quatre mois au programme Entrée express s’ils répondent aux critères. Un étudiant étranger au Québec attend en moyenne 21 mois pour voir sa demande de résidence permanente aboutir.

« Aujourd’hui, les étudiants étrangers ne peuvent plus compter sur un accès rapide à l’immigratio­n », résume M. Diallo.

C’est que la stratégie d’attraction « n’est pas explicitem­ent considérée lors de la planificat­ion de l’immigratio­n permanente », notent les chercheurs. En d’autres mots, alors que la cible de résidents permanents reste la même depuis 2009, le nombre d’étudiants étrangers est en hausse, ce qui crée un « goulot d’étrangleme­nt », nomment-ils.

Les auteurs soulignent plus généraleme­nt l’importance de considérer l’immigratio­n temporaire dans les consultati­ons à venir. Ils indiquent que « les résidents temporaire­s constituen­t désormais la partie la plus importante des flux de nouvelles personnes qui s’établissen­t au Québec ».

L’IdQ recommande donc de mieux prendre en compte cette augmentati­on, notamment dans l’établissem­ent des seuils d’immigratio­n, pour en finir avec une partie de ces « incohérenc­es ».

Aujourd’hui, les étudiants étrangers ne peuvent plus compter sur un accès rapide »

à l’immigratio­n

DAYE DIALLO

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