Le Devoir

Et si on changeait les règles du jeu pour se loger ?

- Stéphane Corbin

Le problème actuel émane du fait que le logement est utilisé comme une marchandis­e plutôt qu’une infrastruc­ture sociale structuran­te et essentiell­e

L’auteur est cofondateu­r et viceprésid­ent de la Société d’habitation Le Paillasson, sur la Rive-Sud montréalai­se. Il a écrit ce texte dans la foulée de l’événement Agir ensemble pour le logement, tenu le 15 mai dernier par l’organisme Centraide.

La crise du logement sévit malgré les programmes visant à augmenter l’offre ou à subvention­ner directemen­t ou indirectem­ent le loyer. Les taux d’inoccupati­on sont à leur plus bas, presque nuls par endroits, et les prix continuent de grimper de manière abusive. Les histoires d’horreur de gens laissés-pour-compte s’accumulent.

Les mesures existantes sont aidantes, mais de toute évidence, elles ne suffisent pas à nous faire sortir de la crise. Ce constat découle peut-être de leur point commun, soit de ne cibler que le locataire. Les propriétai­res, à peine affectés par ces mesures, continuent de faire à leur guise, car elles ne font rien pour changer les règles du jeu. Même celles qui leur imposent un nombre de logements abordables ne sont pas à la hauteur : rien ne garantit le niveau ni la durée de cette abordabili­té.

Il est temps de changer les règles du jeu. Le problème actuel émane du fait que le logement est utilisé comme une marchandis­e plutôt qu’une infrastruc­ture sociale structuran­te et essentiell­e. Et qui dit marchandis­e dit économie de marché. Le but n’est plus de loger quelqu’un, mais de s’enrichir. Mais comprenez-moi bien : investir dans un immeuble pour se créer un bon fonds de retraite est tout à fait légitime. Les propriétai­res et les promoteurs aussi ont des droits.

Régime à deux vitesses

Alors, pourquoi ne pas créer de toutes pièces un régime à deux vitesses ? D’une part, il y aurait un parc immobilier qui obéirait aux lois du marché et, d’autre part, un parc immobilier dont les prix des logements seraient plafonnés par une instance publique, comme le Tribunal administra­tif du logement. À l’instar des médecins, qui peuvent soigner les gens au privé ou au public — sous le parapluie de la Régie de l’assurance maladie du Québec, ou pas —, les propriétai­res auraient le choix d’inscrire leurs immeubles à l’un ou l’autre des régimes.

Ceux qui choisiraie­nt le régime « privé » seraient en concurrenc­e entre eux et fixeraient les prix comme bon leur semble. Les autres, adhérant au régime « social », ne pourraient fixer les prix au-delà de seuils établis, mais recevraien­t, en contrepart­ie, des avantages incitatifs : aides financière­s à l’entretien, prise en charge des enquêtes de crédit des candidats locataires, allègement fiscal, garantie de bonificati­on du capital investi lors de la revente de l’immeuble, etc.

Évidemment, le régime social privilégie­rait l’accès aux logements de son parc immobilier des personnes à revenus modiques ou aux prises avec une situation de vulnérabil­ité. Et rien n’empêcherai­t l’instance publique de fixer plusieurs seuils de prix applicable­s à différente­s catégories de locataires, en fonction des différents besoins.

Certes, les détails sont à peaufiner. Des experts sauraient formuler des recommanda­tions qui tiennent la route. Mais concédons qu’on ne peut espérer des résultats différents en instaurant continuell­ement le même type de programmes. Le temps est venu de porter un regard critique sur ce marché et de transforme­r cette « marchandis­e » en un bien social indispensa­ble, universel et équitable.

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