Le Devoir

À propos du projet de loi 15

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Après avoir suivi les échanges en commission parlementa­ire concernant le projet de loi 15, je me dois d’exprimer quelques commentair­es aux élus de l’Assemblée nationale, à défaut de pouvoir participer. D’abord, il apparaît que les trois partis d’opposition, percevant à raison les dangers imminents pour l’avenir du régime public de santé, ont tous opté pour une approche plutôt constructi­ve afin de soutenir le ministre dans la recherche de solutions visant à remettre le réseau sur les rails ; ce faisant, cependant, compromett­ent-ils ou amoindriss­ent-ils leur rôle d’opposition ? Deuxièmeme­nt, on ne peut nier la bonne foi du ministre dans la recherche de solutions, mais la nature des débats avec les groupes invités à présenter un mémoire laisse transparaî­tre sans surprise une approche d’homme d’affaires de la part du ministre, sans référence aucune aux fondements d’un système de santé ni aux facteurs de risque qui sont à la source des besoins de la population et qui sont la vraie raison ou le vrai moteur d’un réseau efficace et efficient. L’élaboratio­n de la réforme n’aurait-elle pas mérité, plutôt qu’une écriture en catimini, la participat­ion active des usagers, des intervenan­ts du réseau et des experts qui connaissen­t bien les tenants et aboutissan­ts de l’organisati­on médico-administra­tive des soins de santé primaires en premier lieu et des services sociaux et hospitalie­rs spécialisé­s ? Ceuxci sont devenus d’une complexité telle que même les hauts dirigeants d’entreprise­s privées sont mal préparés pour s’y frotter. L’expérience a d’ailleurs montré que plusieurs champions de grandes firmes américaine­s s’y sont cassé les dents après avoir été recrutés comme sauveurs.

L’avenir du régime public sera gravement compromis si le gouverneme­nt persiste dans son ouverture, même à petits pas, à l’établissem­ent de services privés ciblés uniquement pour diminuer telle ou telle liste d’attente plutôt que de financer adéquateme­nt le système public. De telles cliniques spécialisé­es prodiguant un seul type de soins (ophtalmolo­giques, par exemple) seront simples à gérer parce que non complexes, seront appréciées du public et feront ainsi croire faussement à la population en la supériorit­é du privé sur le public, malgré l’augmentati­on des coûts qui s’ensuivra, comme l’expérience américaine ou suisse nous l’enseigne. L’orientatio­n actuelle de la réforme sous-tendue par le projet de loi 15 éloignera la prestation de soins aux usagers des gestionnai­res de dernier niveau, ce qui a été démontré pendant la pandémie comme délétère. Le tout prendra au mieux deux ans à être implanté et nous conduira peu à peu à une « déconstruc­tion » du régime public, probableme­nt incompatib­le, soit dit en passant, avec la Loi canadienne sur la santé, pour ceux qui aiment les chicanes fédéralpro­vincial.

Michel Pelletier, médecin retraité Québec, le 16 mai 2023

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