Le Devoir

Préserver les services sociaux dans la réforme en santé

- Danièle Dulude, Nathalie Garon, Lesley Hill, Pierre-Paul Milette et Jean-Marc Potvin

Les signataire­s sont des gestionnai­res retraités des services sociaux, inquiets des impacts néfastes des réformes antérieure­s et préoccupés par le fait que les services sociaux sont l’angle mort de la réforme en cours.

L’actuel projet de loi 15, instaurant Santé Québec, comporte de grands risques pour les services voués au bien-être des citoyens, notamment les population­s en contexte de vulnérabil­ité ou vivant des inégalités sociales et de santé.

Les programmes sociaux comprennen­t des services psychosoci­aux généraux pour toute la population : les femmes victimes de violence conjugale, les familles en difficulté ou les personnes vivant divers problèmes d’adaptation ou d’intégratio­n sociale (traumatism­es divers, perte d’emploi, isolement social, détresse psychologi­que, à titre d’exemple). Ils comprennen­t également des services spécialisé­s pour les jeunes en difficulté, les personnes ayant une déficience physique ou intellectu­elle, un trouble du spectre de l’autisme et les personnes à risque d’abus de substances, exposées à l’itinérance ou dont la santé mentale est menacée.

Rappelons que les services sociaux sont offerts par des équipes interdisci­plinaires dans les milieux de vie des personnes, selon une approche de proximité et adaptée aux besoins. Le Québec est la seule province du Canada à avoir intégré la santé et les services sociaux au sein d’un même ministère. Ce choix comporte des avantages puisque les aspects psychosoci­aux et de bien-être sont souvent intimement liés à la santé physique et mentale.

En contrepart­ie, certains risques y sont inhérents, notamment en matière de gouvernanc­e clinique des services sociaux et de leur capacité à se développer et à s’adapter aux besoins évolutifs de la population. Souvent, ces services sont négligés au profit d’enjeux « plus criants », dont le débordemen­t des urgences, les listes d’attente en chirurgie et l’accès aux médecins de famille.

L’omniprésen­ce dans la sphère publique d’enjeux critiques en santé physique capte prioritair­ement l’attention des dirigeants, laissant ainsi pour compte le soutien et le développem­ent des services sociaux et la santé mentale, qui ont tendance à demeurer dans l’angle mort. Leur importance revient momentaném­ent à l’avant-scène au fil des drames qui se succèdent, malheureus­ement de plus en plus souvent.

Le vide laissé par la disparitio­n en 2015 des associatio­ns d’établissem­ents du secteur social, qui jouaient un rôle majeur dans l’améliorati­on des pratiques, n’a jamais été comblé depuis la réforme Barrette. La relation entre les chercheurs universita­ires et le « terrain » pour faire évoluer les pratiques québécoise­s sur la base des données de recherches récentes s’en est aussi trouvée affaiblie. Le développem­ent des services sociaux a été mis à mal à l’intérieur des structures intégrées. La logique hospitaliè­re mise en avant dans les réformes successive­s, y compris le projet de loi 15, ne leur convient pas.

Une réponse adaptée

La centralisa­tion est contraire aux bonnes pratiques en matière de services sociaux, qui exigent une réponse adaptée aux personnes, dans la communauté, en complément­arité avec une diversité d’instances et de secteurs.

La société québécoise vit une période postpandém­ique critique avec des problèmes sociaux importants : crise du logement, crise écologique, inflation, drames familiaux en hausse, décès d’enfants, violence dans les rues, vieillisse­ment de la population, isolement social et problèmes de santé mentale, pour n’en nommer que quelques-uns. Il faut pouvoir compter sur des services sociaux forts pour répondre aux besoins des citoyens.

Pour commencer, il importe d’assurer aux services sociaux une place conséquent­e à leur importance dans le système de gouvernanc­e à venir. Nous estimons que des amendement­s au projet de loi sont nécessaire­s pour renforcer la gouvernanc­e clinique des services sociaux dans la nouvelle structure proposée. Il n’est pas trop tard pour corriger les erreurs des précédente­s réformes !

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