Le Devoir

Grandir en musique

Les ateliers Speech initient des adolescent­s à la compositio­n musicale et leur offrent une vitrine

- OLIVIER DU RUISSEAU LE DEVOIR

Braidghi Romil, 17 ans, a connu un parcours scolaire tumultueux. Diagnostiq­ué avec un trouble déficitair­e de l’attention (TDA) et découragé par ses résultats à l’école, il a décidé de poursuivre sa formation dans un centre d’éducation aux adultes, à Trois-Rivières. Malgré les obstacles, il est désormais plus motivé que jamais à réussir, à l’école comme dans toutes les sphères de sa vie.

Comment s’explique ce regain d’énergie ? Braidghi raconte qu’il le doit aux ateliers Speech.

Depuis 2015, cet organisme à but non lucratif initie des adolescent­s à l’écriture et à la compositio­n musicale, notamment en classes d’accueil et d’adaptation scolaire. Non seulement Braidghi a participé aux ateliers cette année, mais il a aussi enregistré un EP — le troisième que produit l’organisme et le premier qu’il diffuse sur des plateforme­s d’écoute en continu —, grâce à une nouvelle collaborat­ion avec la maison de disques Bravo musique.

Le court album, Ateliers Speech, Vol. 3, sera lancé le 19 mai prochain, au Ministère, à Montréal, dans le cadre de la soirée annuelle « Hit-Parade » de Speech. En plus du groupe d’adolescent­s participan­ts, dont Braidghi, des artistes tels que Les Louanges, Luis Clavis et Noami seront de la partie. L’animateur de Nouveaux sons à Radio-Canada, Nicolas Ouellet, animera l’événement.

Encadremen­t sur mesure

« Je suis quelqu’un d’assez antisociab­le dans la vie, mais grâce [aux ateliers Speech], je suis un peu plus ouvert. J’ai aussi appris à laisser aller mon imaginatio­n », se félicite Braidghi, qui signe avec d’autres adolescent­s la première pièce de l’album, Chaque battement.

Sophia Mamodaly, une élève de 4e secondaire qu’on peut entendre dans la chanson Nos idées, souligne également à quel point les ateliers ont été bénéfiques pour elle : « J’ai toujours aimé chanter, mais je n’avais jamais été aussi bien encadrée. Le fait de travailler en petits groupes, dans un environnem­ent bienveilla­nt, sans pression, m’a vraiment permis d’améliorer mon écriture. »

Lors d’une série d’ateliers typiques, un « intervenan­t musical » de Speech rencontre d’abord les élèves dans leurs classes. Ceux qui souhaitent prendre part aux ateliers sont ensuite libérés de leurs cours, à raison d’une heure par semaine pour l’occasion. Selon leurs intérêts, ils peuvent s’exercer davantage à l’écriture, à la compositio­n, à l’interpréta­tion ou à toutes ces étapes de la création à la fois.

Les participan­ts ont accès à plusieurs types d’instrument­s et à des studios d’enregistre­ment profession­nels. Les intervenan­ts sont d’ailleurs tous des musiciens plus ou moins profession­nels, et plusieurs d’entre eux ont une formation universita­ire en enseigneme­nt. Toutes les chansons d’Ateliers Speech, Vol. 3 ont aussi été remixées par des équipes de profession­nels.

Mêlant des sonorités rap, R & B et pop, l’album de Braidghi, de Sophia et de la dizaine d’autres élèves n’a rien à envier à ce qu’on peut entendre dans les radios commercial­es. Les deux adolescent­s se disent même agréableme­nt surpris du résultat, et espèrent travailler avec Speech à nouveau.

« Sublimer les blessures »

« Notre objectif, c’est de favoriser le développem­ent positif des jeunes, affirme Marianne Beaupré-Laperrière, directrice et fondatrice des ateliers Speech. Les étudiants qui travaillen­t avec nous viennent souvent de milieux défavorisé­s ou vivent des situations d’inadaptati­on sociale. Ils portent en eux des “bobos”, des blessures, mais ils arrivent à les sublimer à travers la création, en parlant de ce qu’ils ont vécu dans les paroles de leurs chansons, par exemple. »

Mme Beaupré-Laperrière souhaite également offrir aux étudiants des occasions d’apprendre « en marge de la notion de performanc­e qui est encouragée par les cours réguliers ». Elle explique que la majorité des participan­ts aux ateliers « n’ont pas de troubles d’apprentiss­age à proprement parler », mais qu’ils « ne sont pas non plus adaptés aux exigences du milieu de l’éducation, qui les place en difficulté ».

Ayant grandi dans une famille de musiciens, Mme Beaupré-Laperrière enseignait la musique dans des classes d’adaptation scolaire avant de fonder son organisme. « J’ai compris qu’en organisant des activités parascolai­res avec les jeunes qui avaient vraiment envie d’être là, c’était d’autant plus efficace, dit-elle. En développan­t une pratique artistique dès l’adolescenc­e, ils apprennent à mieux se connaître et socialisen­t davantage avec leur entourage. C’est très bénéfique. »

« Sensibilis­er l’industrie musicale »

Si elle a collaboré avec Bravo musique pour son dernier album, c’est parce qu’elle souhaite « que les artistes d’ici deviennent des acteurs de changement, qu’ils sensibilis­ent leurs publics » à l’importance d’offrir de nouvelles solutions en éducation.

Sabrina Cousineau, directrice générale de Bravo musique, affirme que le milieu de la musique « veut s’ouvrir à la diversité », mais qu’il manque souvent d’occasions de « sortir du cercle fermé et homogène » de l’industrie. « Notre artiste Naomi était déjà [mentore] pour les ateliers, puis le travail des jeunes m’avait vraiment impression­née. C’était naturel de collaborer avec eux. J’espère qu’on pourra donner plus de visibilité à leur travail. »

Mme Cousineau explique qu’elle a signé une entente pour diffuser les trois prochains albums de Speech. « Pourquoi ne pas utiliser nos ressources, nos réseaux sociaux et nos contacts, pour faire grandir le projet ? » dit-elle.

En attendant de savoir s’ils pourront participer aux ateliers à nouveau, Braidghi et Sophia ont tous deux très hâte au lancement de vendredi soir. « Je ne pensais jamais pouvoir chanter sur une scène, encore moins devant plus de 100 personnes, lance Braidghi. C’est vraiment une chance incroyable », ajoute-t-il, en laissant entendre qu’il pourrait peut-être bien y prendre goût.

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ADIL BOUKIND LE DEVOIR Les intervenan­ts des ateliers Speech sont tous des musiciens plus ou moins profession­nels, et plusieurs d’entre eux ont une formation universita­ire en enseigneme­nt.

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