Une maison au milieu de nulle part
Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch transposent à l’écran le roman de Paolo Cognetti Les huit montagnes
Mettant en scène deux personnages peu loquaces, les cinéastes n’ont eu d’autre choix que de miser sur la majesté des paysages ambiants
Porté par la voix de Pietro adulte (Luca Marinelli), Les huit montagnes relate la longue amitié entre deux hommes solitaires issus de milieux différents. En 1984, Pietro (Lupo Barbiero) et Bruno (Cristiano Sassella) sont au seuil de l’adolescence lorsqu’ils se rencontrent. Natif de Turin, le premier vient passer ses vacances à la montagne avec ses parents, Giovanni (Filippo Timi) et Francesca (Elena Lietti). Natif du petit village alpin de Val d’Aoste, le second travaille à la ferme laitière de son oncle Luigi (Gualtiero Burzi).
Réalisateur de La merditude des choses et d’Un garçon magnifique, le Belge Felix Van Groeningen a fait appel à sa compagne, l’actrice Charlotte Vandermeersch, avec qui il s’est initié à la langue de Dante, afin de porter à l’écran le roman de Paolo Cognetti (prix Médicis étranger 2017). Mettant en scène deux personnages peu loquaces, les cinéastes n’ont eu d’autre choix que de miser sur la majesté des paysages ambiants. Secondés par le directeur photo Ruben Impens, fidèle allié de Van Groeningen, et par Julia Ducournau (Grave et Titane), ils composent de charmants tableaux bucoliques gorgés de soleil et multiplient les plans aériens d’une beauté vertigineuse.
Suivant de près les deux gamins dans les hautes herbes, ils saisissent à merveille les premiers frémissements de cette amitié inconditionnelle, laquelle sera menacée par les tourments de l’adolescence. Ainsi, Pietro (Andrea Palma) perdra de vue Bruno en même temps qu’il rompra avec son père, ingénieur épris de promenades dans les neiges éternelles des montagnes, afin de suivre sa vocation d’écrivain voyageur, laquelle le mènera jusqu’aux sommets de l’Himalaya.
Plus esthétisant qu’introspectif
Époque des deuils et des retrouvailles entre Pietro et Bruno (Alessandro Borghi), l’âge adulte sera pour sa part illustré par des huis clos de plus en plus étouffants. Les éclats lumineux, presque aveuglants, de l’été feront place à la lumière plombée de l’automne. Alors que les deux hommes reconstruisent la vieille maison à flanc de montagne léguée par Giovanni, Pietro constate avec amertume que Bruno est devenu un second fils pour son père durant son absence lorsqu’il découvre son journal intime et ses cartes topographiques. À l’image de leur amitié, cette maison rustique deviendra trop étroite pour Pietro et Bruno, de plus en plus emmurés dans leur silence, trop conscients de leurs différences.
Si attentifs qu’ils soient à cette amitié qui s’étiole chaque retour de la saison froide, Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch n’arrivent toutefois pas à transmettre la moindre émotion. Seul Filippo Timi parvient à faire sentir le drame intérieur du père taiseux de Pietro. Alors que les jeunes acteurs apportent une note de fraîcheur au premier acte, Luca Marinelli et Alessandro Borghi demeurent monolithiques jusqu’à la fin. À trop vouloir respecter les origines littéraires du récit de quelque 300 pages, les réalisateurs en ont tiré un film plus esthétisant qu’introspectif s’étirant inutilement sur près de deux heures et demie. Ce qui expliquerait sans doute la surprise des cinéphiles quand Les huit montagnes a remporté le Prix du Jury à Cannes l’an dernier.