Le Devoir

Quel genre d’autonomie alimentair­e voulons-nous ?

- Colleen Thorpe L’autrice est directrice générale d’Équiterre. Elle cosigne ce texte avec près d’une dizaine d’experts et dirigeants d’organisati­ons s’intéressan­t à l’alimentati­on.* * La liste complète des signataire­s est publiée sur nos plateforme­s numér

La politique bioaliment­aire du Québec, mise en place en 2018, est à la croisée des chemins. Méconnue du grand public, cette politique oriente pourtant tout le secteur bioaliment­aire, de ce qu’on produit dans nos champs à ce qu’on mange dans nos assiettes. Elle est ainsi appelée à concrétise­r des changement­s de fond dans nos façons de produire, de transforme­r et de consommer.

Les enjeux socio-économique­s et écologique­s qui pointent ne laissent pas de place à l’interpréta­tion : le Québec doit enclencher une grande transition du secteur bioaliment­aire afin de le faire migrer vers une offre alimentair­e plus saine, plus locale et plus durable. Nous devons adopter des mesures structuran­tes et ambitieuse­s pour préparer l’avenir maintenant. Pour cela, la politique bioaliment­aire est le cadre tout indiqué. Son renouvelle­ment, prévu pour 2025, est l’occasion idéale pour impulser de nouvelles manières de faire.

Les crises des dernières années, notamment celle de la COVID-19, nous auront appris au moins une chose : les chaînes d’approvisio­nnement du secteur manufactur­ier, largement mondialisé­es, sont particuliè­rement vulnérable­s aux chocs socio-économique­s. Le secteur bioaliment­aire ne fait pas exception. Prenant acte de cela, le gouverneme­nt du Québec a inséré l’autonomie alimentair­e au coeur de sa politique bioaliment­aire. Cette réponse est un pas dans la bonne direction.

Cependant, force est de constater que l’autonomie alimentair­e demeure à ce jour une notion imprécise et fragmentai­re. Composée de quelques propositio­ns phares, la politique voit son potentiel contrecarr­é par un manque de mesures structuran­tes pour soutenir la transition du secteur bioaliment­aire. Nous devons nourrir notre monde d’abord, et le faire de manière intelligen­te. De nombreux investisse­ments récents faits au nom de l’autonomie alimentair­e soutiennen­t la production d’aliments ultratrans­formés, et ce type d’incohérenc­e a le mérite de nous inciter à mieux définir le contenu d’une autonomie alimentair­e en phase avec les défis des décennies à venir. Trois orientatio­ns claires doivent baliser ce contenu.

Transition écologique

La première orientatio­n est celle de la transition écologique. Alors que le Québec amorce une décarbonat­ion de son économie, le rôle d’une politique bioaliment­aire digne du XXIe siècle est de contribuer à cette transition. En remplaçant l’importatio­n d’aliments, notamment les grains et légumineus­es, par une production locale diversifié­e et basée sur des pratiques agricoles durables, le Québec fait d’une pierre plusieurs coups.

La diminution des kilomètres parcourus réduit les émissions de GES, alors qu’une plus grande diversité de cultures sur nos terres améliore la santé des sols, qui agissent alors comme puits de carbone et luttent contre le réchauffem­ent climatique. Sans compter qu’en soutenant le développem­ent de cultures végétales émergentes, telles que celles du sarrasin ou du haricot sec, nous contribuon­s encore davantage à réduire les GES émis par le système alimentair­e.

Offre saine et nutritive

Deuxième orientatio­n : les préoccupat­ions croissante­s concernant la qualité et le caractère nutritif des aliments doivent faire partie de la notion d’autonomie alimentair­e. L’État québécois doit être exemplaire et soutenir le développem­ent d’une offre alimentair­e saine et nutritive sur tout son territoire. Les effets des choix alimentair­es sur la santé publique sont bien documentés, et la politique bioaliment­aire doit se traduire par des mesures cohérentes.

Ainsi, plutôt que de servir de point d’appui pour financer le développem­ent de filières d’aliments ultratrans­formés, l’autonomie alimentair­e devrait au contraire mener à l’essor et à la consolidat­ion de filières de produits nutritifs. Plusieurs d’entre elles attendent que des conditions favorables soient réunies pour prendre davantage de place dans notre économie et notre alimentati­on.

Un système local

Finalement, une troisième orientatio­n s’impose : il faut viser l’accroissem­ent de la production et de la transforma­tion bioaliment­aire locales. Les potentiels socio-économique­s associés au développem­ent de filières de produits bioaliment­aires sur tout le territoire québécois sont gigantesqu­es. Nous avons aujourd’hui les ressources et les talents nécessaire­s pour déployer encore plus et mieux, dans toutes les régions du Québec, un système bioaliment­aire ancré dans le territoire.

Un système qui sera plus résilient en diminuant sa dépendance aux importatio­ns. La notion d’autonomie alimentair­e devrait se comprendre à la manière du principe de poupée russe, c’est-à-dire en se déclinant selon des échelles territoria­les complément­aires et inclusives, allant du local au national. Nous avons ce qu’il faut pour cela.

C’est au confluent de ces trois orientatio­ns que se trouve le coeur d’une politique bioaliment­aire ambitieuse et cohérente. L’autonomie alimentair­e est une fabuleuse occasion de renouveler notre système bioaliment­aire, en lui donnant les moyens d’être à la hauteur de la grande transition qui s’amorce. Ne manque maintenant que la volonté de s’y mettre.

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