Le Devoir

La LHJMQ visée par une demande d’action collective

- VIOLENCES DANS LE SPORT SÉBASTIEN TANGUAY À QUÉBEC

La Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) fait face à une demande d’action collective déposée au nom de toutes les victimes d’« abus » subis dans les rangs de l’organisati­on depuis 1969. Le recours réclame la somme de 15 millions de dollars à titre de dommages « punitifs et exemplaire­s ».

Carl Latulippe, un ancien joueur des Saguenéens de Chicoutimi qui dit avoir subi une série d’actes dégradants au cours de son passage dans les rangs juniors majeurs, agit à titre de demandeur dans cette requête présentée par le cabinet Kugler Kandestin.

Dans celle-ci, l’ancien athlète raconte avoir dû se masturber lors d’un voyage en autobus avant d’être enfermé avec d’autres recrues dénudées dans les toilettes du véhicule. Carl Latulippe maintient que des entraîneur­s se trouvaient à bord.

« [Ils] étaient au courant de ce qui se passait, n’ont pas cessé les abus et, par leur inaction, ont donné le message que ces abus étaient permis, que les abuseurs ne seraient pas punis et que les recrues n’avaient pas de choix que de les endurer », décrit la demande. L’ancien hockeyeur aurait gardé plusieurs séquelles de cet épisode, notamment une claustroph­obie qui le rend encore anxieux à l’idée d’embarquer dans un avion ou d’entrer dans un espace clos.

Carl Latulippe soutient avoir subi le même sort chez les Voltigeurs de Drummondvi­lle à l’automne 1994. « Le demandeur a réalisé que des abus survenaien­t également dans cette équipe », poursuit la demande. Le document certifie que le requérant et d’autres recrues s’enduisaien­t le corps de shampooing avant d’entrer dans les douches pour avoir une peau glissante et, ainsi, échapper plus facilement aux tentatives d’agression perpétrées par les vétérans.

Carl Latulippe, selon la demande, aurait vu un vétéran introduire un cintre dans l’anus d’un coéquipier jusqu’à déchirer celui-ci.

Ce témoignage fait écho à celui de Stephen Quirk, un joueur qui a évolué à partir de 1995 avec les Alpines de Moncton. L’ancien hockeyeur avait raconté au Devoir les traumatism­es encore vifs hérités de son passage dans les rangs du hockey junior majeur québécois, où une kyrielle de gestes de violence l’aurait marqué à vie et dégoûté de son sport.

Le recours déposé mercredi au palais de justice de Québec vise la LHJMQ, les 18 équipes qui la composent aujourd’hui et la Ligue canadienne de hockey. Il représente « tous les joueurs qui ont subi des abus alors qu’ils étaient mineurs et [qui ont évolué] au sein de la Ligue de hockey junior majeur du Québec » depuis sa création, en 1969.

Selon la demande, les deux ligues et les équipes avaient la responsabi­lité collective de protéger les joueurs placés sous leur responsabi­lité. La requête accuse leur direction d’avoir eu conscience d’« un problème systémique de comporteme­nts abusifs envers les joueurs mineurs, exacerbé par une culture de silence qui est généralisé­e », et de n’avoir rien fait pour y mettre fin.

Les « abus » désignent, précise la demande, « toute forme d’agression physique, sexuelle et psychologi­que ». Parmi les gestes en cause : avoir été confiné, rasé, dénudé ou intoxiqué contre son gré ; avoir été forcé ou encouragé à agresser autrui ; avoir été forcé à ingurgiter de l’urine, de la salive, du sperme ou des excréments ; avoir été forcé à se mutiler ou à commettre des actes de bestialité.

Ces récriminat­ions reprennent plusieurs allégation­s contenues dans une autre demande d’action collective, déposée en Ontario en 2020 et intentée contre les trois principaux circuits de hockey junior majeur au Canada. Le juge au dossier, Paul Perell, avait dit croire toutes les accusation­s rapportées dans le cadre de la requête, mais avait néanmoins rejeté la demande d’action collective, estimant qu’il ne s’agissait pas de la voie appropriée pour que les requérants — dont faisait partie Stephen Quirk — obtiennent justice.

La nouvelle demande d’action collective, déposée mercredi au palais de justice de Québec, écarte toute personne qui décide de mener un combat individuel pour obtenir réparation.

Selon Me David Stolow, l’avocat principal au dossier, la cause revêt un caractère particuliè­rement important pour Carl Latulippe. « Il a vécu une situation intolérabl­e dont il porte encore les séquelles. Il se sentait responsabl­e à l’égard du passé, et souhaitait que les joueurs qui ont souffert en silence pendant des années aient un forum où obtenir justice. Il se sent aussi responsabl­e pour l’avenir, afin qu’il y ait un vrai changement dans cette culture qui tolère ces formes d’abus », ajoute l’avocat.

Ces nouveaux déboires judiciaire­s jettent une douche froide sur la liesse manifestée dimanche, au moment où la LHJMQ couronnait ses nouveaux champions, les Remparts de Québec. Les séries éliminatoi­res avaient des airs de triomphe pour la ligue, qui a vu la capitale nationale s’embraser d’enthousias­me pour l’équipe championne et se déplacer en nombre record pour voir les parties.

Trois jours plus tard, les agressions qui auraient été commises dans ses vestiaires et ses autobus rattrapaie­nt la Ligue de hockey junior majeur du Québec. Par voie de communiqué, la LHJMQ a indiqué prendre « les allégation­s de maltraitan­ce très au sérieux » et « condamne[r] la conduite des individus et des équipes qui ont agi de façon inappropri­ée ».

[Les entraîneur­s] étaient au courant de ce qui se passait, n’ont pas cessé les abus et, par leur inaction, ont donné »

le message que ces abus étaient permis

CARL LATULIPPE

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