Le Devoir

Le mauvais messager

- RAPPORT JOHNSTON MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

Contre toute attente, le rapporteur spécial David Johnston défie le quasi-consensus en faveur d’une enquête publique sur l’ingérence étrangère dans le processus électoral canadien et demande plutôt à la population de le croire sur parole : non, une telle enquête ne permettrai­t pas de tirer plus de matière que ce que lui-même a été en mesure de récolter. Circulez ! Il n’y a rien à voir ! Depuis les révélation­s des derniers mois de Global News et du Globe and Mail, le dossier de l’ingérence étrangère s’est enlisé dans une joute partisane qui, il faut bien l’avouer, a élimé le regard objectif de nombre d’observateu­rs et d’acteurs importants de ce combat, qui continuero­nt de réclamer une enquête publique à cor et à cri, peu importe la qualité d’analyse procurée par l’ex-gouverneur général David Johnston. Sans attaquer ni la rigueur de son travail ni sa probité intellectu­elle, que d’aucuns lui accordent d’emblée, on peut toutefois maintenir que le rapport de M. Johnston ne sera pas suffisant pour atteindre l’objectif qu’il s’était fixé, soit rétablir la confiance du public dans les institutio­ns gouverneme­ntales.

Au moins deux raisons importante­s militent en faveur d’une commission d’enquête publique, ou à tout le moins d’un autre examen indépendan­t. La première ? Qu’il existe une telle chose dans l’espace politique que l’apparence de conflit d’intérêts, tout aussi capitale que le conflit d’intérêts luimême. La proximité de M. Johnston avec M. Trudeau de même que son passage à la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau le disqualifi­ent d’emblée comme grand émissaire d’une opération de restaurati­on de la confiance du public envers le gouverneme­nt Trudeau, et il n’était tout simplement pas, et n’est toujours pas, l’homme de la situation, peu importe la nature de sa démarche. La deuxième ? Que le contenu de son rapport en soi encourage la tenue d’un exercice d’enquête indépendan­t, car non seulement M. Johnston conclut que l’ingérence étrangère dans le processus électoral canadien est une menace sérieuse et croissante, mais il ajoute que tout le système de transmissi­on et de communicat­ion du renseignem­ent aux ministères et aux politicien­s est chaotique et comporte de graves lacunes.

Nombre d’observateu­rs, et pas des moindres, croient en la pertinence d’une enquête publique même si le rapporteur spécial, après s’être plongé de manière directe dans les méandres du renseignem­ent secret, estime que cet exercice serait vain : trop long, trop coûteux, trop limité dans sa portion « publique », car un commissair­e se heurterait aux mêmes limitation­s liées à la confidenti­alité que lui. C’est conclure un peu vite qu’en d’autres temps, des commission­s d’enquête d’envergure, certes parfois longues, et certes parfois très coûteuses, ont eu recours à des portions à huis clos sans que cela ne ternisse ni la démarche ni ses conclusion­s. En lieu et place, M. Johnston propose de poursuivre son exercice en tenant des audiences publiques et il suggère une validation de son indépendan­ce et de la probité de ses conclusion­s par des tiers. Quelle que soit l’issue que connaîtra cette longue saga, elle doit comporter une suite qui ne sera pas menée par M. Johnston.

Quelle sera la suite, justement ? L’aveuglemen­t partisan dans lequel l’opposition, et plus spécialeme­nt les conservate­urs de Pierre Poilievre, s’est enlisée n’augure pas une finale paisible. Mais si l’objectif est de restaurer la confiance du public, les groupes de l’opposition portent eux aussi une part de responsabi­lité et doivent tout faire pour que les débats sur cette question cruciale contiennen­t l’élévation que commande le sujet. Le manque d’indépendan­ce apparent de David Johnston ne vient pas détruire l’ensemble de ses conclusion­s, et rien ne vient laisser croire à une « complicité » du premier ministre Trudeau dans l’ingérence de Pékin.

« La démocratie est fondée sur la confiance. » Tels sont les premiers mots du rapport de David Johnston, mais ils pourraient tout aussi bien en constituer aussi la conclusion, ou une invitation à tout faire pour que la suite des choses permette de restaurer cette confiance. L’exercice mené jusqu’à maintenant n’est à l’évidence pas suffisant pour nous en convaincre.

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