Le ministre de la Justice doit mettre fin à ses affrontements avec la magistrature
Marie-Pier Boulet
L’autrice est présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates de la défense. Elle cosigne cette lettre avec un groupe de 13 experts rassemblant des professeurs de facultés de droit de partout au Québec ainsi que des juristes influents.*
Nous avons tous poussé un soupir de soulagement à l’annonce d’une entente entre le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, et la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, le 21 avril dernier. En effet, les dernières années ont été tendues et difficiles sur plusieurs fronts en matière de justice. Plusieurs litiges entre le ministère et la magistrature ont accaparé trop de ressources et d’attention, et ceci a malheureusement généré une bien mauvaise presse pour le système judiciaire.
Dans ce contexte, le dépôt du projet de loi 26, qui vise à assujettir le Conseil de la magistrature aux crédits budgétaires du ministère de la Justice, et donc à en contrôler le budget, et évidemment la levée de boucliers qui s’est ensuivie, tant du Conseil luimême que de plusieurs journalistes, de même que du Barreau du Québec, n’est pas de nature à nous rassurer. En fait, il semble que ce nouvel affrontement annoncé devrait pouvoir être évité.
Soulignons que plusieurs ont soulevé des inquiétudes quant à la capacité du Conseil de conserver les moyens de préserver son indépendance, et notamment donc de contester des réformes qu’il jugerait problématiques. Rappelons de plus qu’une partie importante de ces litiges se sont soldés en faveur des arguments présentés par le Conseil, démontrant ainsi toute la pertinence et la justesse de telles interventions. Tout cela mérite certainement qu’on s’inquiète d’une réforme législative qui viendrait contrecarrer ces moyens dans l’avenir.
N’est pas sans valeur l’argument qu’une reddition de comptes est utile et nécessaire pour tous les organismes de l’État.
C’est pour cette raison que de nouveaux pouvoirs furent octroyés à la vérificatrice générale du Québec en mars dernier, afin d’effectuer un contrôle annuel des budgets du Conseil de la magistrature. Il nous semble qu’il serait plus judicieux de permettre à un tel mécanisme de faire ses preuves avant d’aller plus loin, notamment devant les questions d’indépendance judiciaire que soulève le projet de loi 26.
Le système de justice vit actuellement des moments difficiles, personne ne peut le nier. Les délais s’allongent, les causes se complexifient, la pénurie de main-d’oeuvre frappe très fort, l’accès à la justice et la confiance du public s’érodent. Mettons toute notre énergie à réparer le système, travaillons ensemble et évitons de relancer un nouveau conflit qui s’étirerait sur des années. Nous avons tant à faire, attelons-nous-y sans délai.