Un système d’éducation devenu indéfendable
Incohérences, condescendance et déni de la science ne sauraient de toute évidence faire un bon ministre
Peu après sa nomination au poste de ministre de l’Éducation, en octobre dernier, j’avais demandé à Bernard Drainville, dans une lettre au Devoir, s’il ne serait « qu’une façade ? Fort en gueule ? Incarnant à la fois un renouveau factice face à la population et une autorité déconnectée devant les gens des milieux ? »
Le constat est sans équivoque, et force est d’admettre que l’attitude autant que le propos n’ont rien de rassurant pour l’avenir de l’éducation. Incohérences, condescendance et déni de la science ne sauraient de toute évidence faire un bon ministre.
Bernard Drainville ne réussira rien à l’Éducation tant qu’il ne comprendra pas la méfiance qu’il ne peut s’empêcher déjà de susciter. Il se condamne à ne laisser derrière lui qu’amertume et cynisme parmi les enseignants.
L’insolence avec laquelle il a aussi bien rejeté l’école à trois vitesses qu’il a voulu qu’on le lâche avec les GES amène à penser que son intérêt pour les prochaines générations passe bien après celui pour sa propre carrière. S’il savait combien d’enseignants, en contrepartie, sacrifient leur quotidien pour l’avenir des enfants qu’on leur confie, il ravalerait peut-être sa façade.
On dit souvent que l’Éducation est un ministère difficile, impardonnable. Il l’est d’autant plus si son responsable choisit d’ignorer la réalité pour mieux imposer sa vision. Cela n’a-t-il pas été le défi des derniers ministres que de détourner l’attention des plus graves enjeux de l’école québécoise ? Des infrastructures aux taux de réussite, en passant par la pénurie de services, il fallut sans cesse affronter la version ministérielle pour dévoiler l’ampleur des problèmes du réseau public. Qu’à cela ne tienne.
Le système à trois vitesses est précisément justifié par les économies découlant du sous-financement des infrastructures et des services aux élèves et de l’exploitation jusqu’auboutiste d’un corps enseignant épuisé, exsangue, ne méritant manifestement pas une augmentation digne de ce nom. Au-delà de ça, il l’est par le dogmatisme idéologique néolibéral et le désir inavoué de reproduire les inégalités. Et enfin, par la résignation de bien des parents, dans ces circonstances, à payer eux-mêmes une bonne partie de l’éducation de leur enfant.
Le projet de loi 23 (PL23) ne change donc rien à ces impacts que, sciemment, on choisit aussi d’ignorer. C’est aussi pour cela que la gestion du réseau public et la mesure réaliste de son efficacité continueront de faire fi des variables — pourtant probantes — sur lesquelles l’enseignant n’a aucun pouvoir, à savoir la composition de ses groupes et le niveau de pauvreté des familles dont sont issus les enfants assis devant lui.
Deux critères qui n’inquiéteront jamais le réseau privé, et que l’écrémage au public se contente de contourner la plupart du temps.
Tant que la composition de la classe et, par le fait même, le système à trois vitesses ne seront pas honnêtement reconnus et remis en question par le parti au pouvoir, à moins de faire des groupes « réguliers » de 20 élèves dans des écoles forcément agrandies (et rénovées), le problème de l’éducation au Québec restera entier.
Nonobstant la nécessité de trier et de valoriser — objectivement — les meilleures pratiques pédagogiques, on ne réussira jamais à me faire croire qu’une formation continue orientée selon la vision gouvernementale, des formations accélérées et les offres patronales actuelles réussiront à redresser la situation. Ce genre d’initiatives ne remet encore et toujours qu’une chose en question : l’aptitude des enseignants à faire face à ces groupes dont la complexité s’est aggravée depuis plus de dix ans sans que rien ne fût réellement fait pour y remédier.
Et qu’on me comprenne bien : les élèves qui devaient réussir devraient encore et toujours réussir. Mais si on les retire presque tous des groupes où, en revanche, on pratique l’inclusion à tout va des troubles les plus divers — d’apprentissage et comportementaux —, alors là non seulement on condamne les élèves qui avaient peutêtre une chance, mais on condamne aussi le prof qui se sera néanmoins battu avec ses dernières ressources, ses dernières énergies, en risquant sa propre santé physique et mentale.
Ainsi, le gouvernement n’est pas seulement responsable des enseignants qu’il envoie au combat, il est aussi responsable de la nature même du champ de bataille.
Quoi qu’en dise le ministre Drainville pour justifier son projet de loi, l’effort vise manifestement à s’approprier par une rhétorique habile les sciences de l’éducation afin de légitimer une vision politique qui reste profondément discriminatoire et irresponsable.
Stratégiquement, il s’agit de semer — une fois de plus — le doute sur les compétences des enseignants en insinuant que certaines données probantes, dont le fameux effet enseignant, si elles étaient appliquées comme il faut, pallieraient ce qui, au fond, s’avère être les effets pervers d’un système élitiste que l’on nie moins sincèrement qu’on ne le valorise.
C’est pourquoi, à travers tout le tapage lié au PL23, nous ne devons jamais oublier que le ministre de l’Éducation aura toujours — fondamentalement — le mandat de défendre l’indéfendable : le maintien coûte que coûte du système d’éducation le plus injuste et le plus inégalitaire au pays.
Cela me console à peine qu’il s’y prenne aussi mal.