Le Devoir

Un système d’éducation devenu indéfendab­le

Incohérenc­es, condescend­ance et déni de la science ne sauraient de toute évidence faire un bon ministre

- Mathieu Bernière L’auteur est enseignant au secondaire.

Peu après sa nomination au poste de ministre de l’Éducation, en octobre dernier, j’avais demandé à Bernard Drainville, dans une lettre au Devoir, s’il ne serait « qu’une façade ? Fort en gueule ? Incarnant à la fois un renouveau factice face à la population et une autorité déconnecté­e devant les gens des milieux ? »

Le constat est sans équivoque, et force est d’admettre que l’attitude autant que le propos n’ont rien de rassurant pour l’avenir de l’éducation. Incohérenc­es, condescend­ance et déni de la science ne sauraient de toute évidence faire un bon ministre.

Bernard Drainville ne réussira rien à l’Éducation tant qu’il ne comprendra pas la méfiance qu’il ne peut s’empêcher déjà de susciter. Il se condamne à ne laisser derrière lui qu’amertume et cynisme parmi les enseignant­s.

L’insolence avec laquelle il a aussi bien rejeté l’école à trois vitesses qu’il a voulu qu’on le lâche avec les GES amène à penser que son intérêt pour les prochaines génération­s passe bien après celui pour sa propre carrière. S’il savait combien d’enseignant­s, en contrepart­ie, sacrifient leur quotidien pour l’avenir des enfants qu’on leur confie, il ravalerait peut-être sa façade.

On dit souvent que l’Éducation est un ministère difficile, impardonna­ble. Il l’est d’autant plus si son responsabl­e choisit d’ignorer la réalité pour mieux imposer sa vision. Cela n’a-t-il pas été le défi des derniers ministres que de détourner l’attention des plus graves enjeux de l’école québécoise ? Des infrastruc­tures aux taux de réussite, en passant par la pénurie de services, il fallut sans cesse affronter la version ministérie­lle pour dévoiler l’ampleur des problèmes du réseau public. Qu’à cela ne tienne.

Le système à trois vitesses est précisémen­t justifié par les économies découlant du sous-financemen­t des infrastruc­tures et des services aux élèves et de l’exploitati­on jusqu’auboutiste d’un corps enseignant épuisé, exsangue, ne méritant manifestem­ent pas une augmentati­on digne de ce nom. Au-delà de ça, il l’est par le dogmatisme idéologiqu­e néolibéral et le désir inavoué de reproduire les inégalités. Et enfin, par la résignatio­n de bien des parents, dans ces circonstan­ces, à payer eux-mêmes une bonne partie de l’éducation de leur enfant.

Le projet de loi 23 (PL23) ne change donc rien à ces impacts que, sciemment, on choisit aussi d’ignorer. C’est aussi pour cela que la gestion du réseau public et la mesure réaliste de son efficacité continuero­nt de faire fi des variables — pourtant probantes — sur lesquelles l’enseignant n’a aucun pouvoir, à savoir la compositio­n de ses groupes et le niveau de pauvreté des familles dont sont issus les enfants assis devant lui.

Deux critères qui n’inquiétero­nt jamais le réseau privé, et que l’écrémage au public se contente de contourner la plupart du temps.

Tant que la compositio­n de la classe et, par le fait même, le système à trois vitesses ne seront pas honnêtemen­t reconnus et remis en question par le parti au pouvoir, à moins de faire des groupes « réguliers » de 20 élèves dans des écoles forcément agrandies (et rénovées), le problème de l’éducation au Québec restera entier.

Nonobstant la nécessité de trier et de valoriser — objectivem­ent — les meilleures pratiques pédagogiqu­es, on ne réussira jamais à me faire croire qu’une formation continue orientée selon la vision gouverneme­ntale, des formations accélérées et les offres patronales actuelles réussiront à redresser la situation. Ce genre d’initiative­s ne remet encore et toujours qu’une chose en question : l’aptitude des enseignant­s à faire face à ces groupes dont la complexité s’est aggravée depuis plus de dix ans sans que rien ne fût réellement fait pour y remédier.

Et qu’on me comprenne bien : les élèves qui devaient réussir devraient encore et toujours réussir. Mais si on les retire presque tous des groupes où, en revanche, on pratique l’inclusion à tout va des troubles les plus divers — d’apprentiss­age et comporteme­ntaux —, alors là non seulement on condamne les élèves qui avaient peutêtre une chance, mais on condamne aussi le prof qui se sera néanmoins battu avec ses dernières ressources, ses dernières énergies, en risquant sa propre santé physique et mentale.

Ainsi, le gouverneme­nt n’est pas seulement responsabl­e des enseignant­s qu’il envoie au combat, il est aussi responsabl­e de la nature même du champ de bataille.

Quoi qu’en dise le ministre Drainville pour justifier son projet de loi, l’effort vise manifestem­ent à s’approprier par une rhétorique habile les sciences de l’éducation afin de légitimer une vision politique qui reste profondéme­nt discrimina­toire et irresponsa­ble.

Stratégiqu­ement, il s’agit de semer — une fois de plus — le doute sur les compétence­s des enseignant­s en insinuant que certaines données probantes, dont le fameux effet enseignant, si elles étaient appliquées comme il faut, pallieraie­nt ce qui, au fond, s’avère être les effets pervers d’un système élitiste que l’on nie moins sincèremen­t qu’on ne le valorise.

C’est pourquoi, à travers tout le tapage lié au PL23, nous ne devons jamais oublier que le ministre de l’Éducation aura toujours — fondamenta­lement — le mandat de défendre l’indéfendab­le : le maintien coûte que coûte du système d’éducation le plus injuste et le plus inégalitai­re au pays.

Cela me console à peine qu’il s’y prenne aussi mal.

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