Le Devoir

Québec invité à frapper fort et tôt pour la loi 25

Dompter les géants technologi­ques étrangers pourrait être difficile, avertit un expert

- ALAIN MCKENNA

Le « marketing de l’amende » pour mater les GAFAM ? L’entrée en vigueur progressiv­e de la Loi sur la protection des renseignem­ents personnels franchira un nouveau seuil en septembre prochain. Un expert invite Québec à ne pas lésiner sur les moyens à prendre avec les géants étrangers du numérique qui seraient tentés de tester sa volonté à faire appliquer la nouvelle loi.

La loi 25 comprend plusieurs obligation­s de transparen­ce, de consenteme­nt et de divulgatio­n que devront respecter les entreprise­s qui collectent des données numériques auprès des Québécoise­s et des Québécois. Ces dispositio­ns ressemblen­t beaucoup au Règlement général sur la protection des données (RGPD) européen.

Ses sanctions sont presque aussi sévères : violer le RGPD peut entraîner une pénalité pécuniaire pour une entreprise fautive de 20 millions d’euros ou jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial. Ne pas respecter la loi 25 quand elle sera en vigueur pourra coûter jusqu’à 10 millions de dollars ou 2 % du chiffre d’affaires mondial, si ce dernier est plus élevé.

Or, s’il sera relativeme­nt facile pour le gouverneme­nt québécois de faire respecter sa loi auprès des entreprise­s québécoise­s, dompter les géants technologi­ques étrangers pourrait être plus difficile, constate Romain Gauthier, cofondateu­r et p.-d.g. de la société française Didomi, qui accompagne les entreprise­s dans leur gestion des données numériques.

« C’est une vraie leçon du RGPD : les entreprise­s qui vont payer le plus ne sont pas celles qu’il faudrait viser, à savoir les géants américains qui brassent d’importants volumes de données personnell­es, et qui posent le plus grand risque aux personnes concernées », dit-il en entrevue avec Le Devoir.

Faire sa loi

L’amende de 1,2 milliard d’euros imposée à la fin mai à Meta par l’Irlande illustre les propos de Romain Gauthier. Ce jugement survient cinq ans après l’entrée en vigueur du RGPD, et Meta pourra en appeler. « Entre le moment où la Loi entre en vigueur et où se forme la jurisprude­nce, il peut se passer plusieurs années », dit-il.

En Europe, on peine à convaincre les entreprise­s étrangères de prendre un plus grand soin des données personnell­es. Le Québec devra être ferme, d’autant plus que la Commission d’accès à l’informatio­n, qui a le mandat de faire respecter la Loi, pourrait manquer de ressources.

« Il y aura peut-être un “marketing de l’amende” à considérer », poursuit Romain Gauthier. « Il faudra frapper fort et frapper tôt. Les géants américains ont des budgets pour régler les litiges locaux, allonger quelques centaines de milliers de dollars seulement ne leur ferait pas peur. »

Québec jouit également de l’aspect réputation­nel, ajoute l’expert. Les entreprise­s ont beaucoup à perdre là aussi : le public et les investisse­urs étrangers sont très sensibles aux enjeux de respect de la vie privée.

Là encore, le gouverneme­nt devra user de stratégie, sinon, les géants étrangers du numérique pourraient tout simplement ignorer la Loi. Un autre exemple issu de l’actualité est celui d’Airbnb, qui rechigne à respecter des exigences imposées par la ministre provincial­e du Tourisme, Caroline Proulx, pour mettre fin à l’hébergemen­t touristiqu­e illégal.

Dernière minute

Les nouvelles dispositio­ns qui devront être mises en place d’ici septembre prochain par les entreprise­s faisant des affaires au Québec vont être immédiatem­ent perceptibl­es par le public. La plus notoire est celle qui exigera désormais de recueillir un « consenteme­nt distinct » pour chacune des collectes de données effectuées, et qu’elles soient expliquées dans « des termes simples et clairs ».

Romain Gauthier s’attend à voir les entreprise­s réagir à la dernière minute. Il avertit les dirigeants, qui pensent pouvoir continuer à opérer comme avant, que le changement est plus gros qu’il en a l’air. « On essaie de déconstrui­re quelque chose qui est déjà en place et qui a mené à des modèles d’affaires très rémunérate­urs. Il y a des métiers du numérique qui vont changer, ça risque de faire peur. Il faudra un leadership fort sur les valeurs de l’entreprise relatives au respect de la vie privée des clients. »

Si le Québec fait office de pionnier nord-américain en matière de resserreme­nt des règles liées à la protection de la vie privée, ce n’est peutêtre qu’un début. Les entreprise­s qui s’ajusteront plus tôt seront prêtes quand d’autres provinces ou d’autres États sur le continent décideront d’emboîter le pas, conclut l’expert.

La loi 25 comprend plusieurs obligation­s de transparen­ce, de consenteme­nt et de divulgatio­n que devront respecter les entreprise­s qui collectent des données numériques auprès des Québécoise­s et des Québécois

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