Le Devoir

On est huit millions, faut se parquer

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Le Québec, ce n’est ni un pays ni l’hiver : le Québec, c’est un grand stationnem­ent. Comme le reste de l’Amérique du Nord, quoi. Des estimation­s viennent de comptabili­ser six places de stationnem­ent en moyenne par voiture aux États-Unis, avec un record de 30 places par véhicule à Houston. Au total, il y aurait donc plus de 2 milliards de cases made in USA, l’équivalent des États du Vermont et du Connecticu­t réunis.

En appliquant ici cette règle de six places — il y a environ cinq millions de voitures à parquer —, on en serait donc à un gigaparkin­g de 30 millions de places au Québec, où, comme partout dans le monde, les beaux chars passent 95 % de leur temps à l’arrêt. À trois espaces par auto, selon une estimation prudente, on arrive tout de même à un total global minimal de 15 millions d’emplacemen­ts asphaltés.

Le Conseil régional de l’environnem­ent de Montréal (CREM) a fait les comptes précis pour cette ville (et pas pour toute l’île). L’étude, diffusée en mars, arrive au total d’environ un million de places, une moitié sur rue et une autre moitié hors rue. Chacun de ces espaces occupe en moyenne 32,5 m2, pour un grand tout combiné d’au moins 22 km2 réservés aux autos arrêtées, soit l’équivalent des arrondisse­ments du PlateauMon­t-Royal et de Rosemont–La Petite-Patrie.

Ce dernier arrondisse­ment compterait environ 35 000 places sur le domaine public, dont près de 1100 avec parcomètre­s, selon les données fournies par sa division des communicat­ions. Les vignettes ont rapporté 620 500 $ en 2022. Une nouvelle grille tarifaire basée sur le type de véhicule et sa masse nette (plutôt que sur la cylindrée) entrera en vigueur en juillet.

Là comme ailleurs, les voitures sont en demande croissante d’espace puisqu’elles sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus grandes. Les véhicules en circulatio­n à la recherche d’une place composent jusqu’à 30 % de la circulatio­n dans certaines parties des grandes villes.

Le continent bitumé cache mille et un problèmes d’aménagemen­t. « Un paquet de nos problèmes urbains sont toujours reliés aux places pour stocker les voitures individuel­les », commente Christian Savard, directeur général de Vivre en ville, organisme de défense des meilleures pratiques d’urbanisme. « On veut faire des voies cyclables ? On ne peut pas parce qu’on veut garder du stationnem­ent sur rue. On veut verdir nos villes pour les rafraîchir ? On ne peut pas enlever les places pour stocker les autos. Et pourquoi nos banlieues ne sont pas belles ? Parce qu’on a établi le parking en roi et maître partout. »

Un autre exemple : Communauto se plaint que les longueurs administra­tives dans l’approbatio­n de nouvelles places pour garer ses véhicules ralentisse­nt l’expansion de ses services. Les voitures partagées, en déplacemen­ts fréquents, sont donc freinées par les autos privées qui, elles, ne bougent presque pas.

M. Savard raconte avoir choisi sa profession d’urbaniste en prenant conscience de la mocheté de l’aménagemen­t d’un centre commercial à Saint-Hubert (ville maintenant intégrée à Longueuil), sur la Rive-Sud. « Je trouvais ça terribleme­nt laid et j’ai décidé de lutter contre ce genre d’horreur. » Il avait 10 ans…

Une très dispendieu­se gratuité

Les espaces publics restent très majoritair­ement occupés gratuiteme­nt ou à faible coût par les véhicules stationnés. Le professeur californie­n Donald Shoup ( The High Cost of Free Parking, 2015) a évalué que le manque à gagner par la gratuité des places aux États-Unis était de 233 à 718 milliards $US en 2017. Le CREM estime que le soutien à l’auto assumé collective­ment par le stationnem­ent sur rue gratuit est de l’ordre d’un demi-milliard par année à Montréal seulement.

Dans l’arrondisse­ment du Plateau-Mont-Royal, le prix d’une vignette varie selon la période de validité et le type de véhicule. Elle coûte entre 88,53 $ (pour une auto électrique) et 297,79 $ pour les grosses cylindrées. Faire dormir un véhicule à longueur d’année, ou presque, coûte donc à son propriétai­re l’équivalent d’une nuitée dans un hôtel du centre-ville. À Montréal, environ 5 % seulement des places exigent des vignettes et un autre 5 % des parcomètre­s. Ce qui fait que 90 % des places de stationnem­ent sont offertes.

« Le potentiel de constructi­on et de nouveaux revenus est énorme pour la ville », explique Blaise Rémillard, responsabl­e de la mobilité et de l’urbanisme au CREM. Il précise que dans les quartiers centraux, 30 % des habitants n’ont pas de voiture, et 30 % stationnen­t leur auto sur leur terrain privé. « C’est donc une minorité qui bénéficie de l’espace public, et à coût minime. En fait, si la Ville voulait fournir un service de stationnem­ent à toutes les voitures, elle ne le pourrait pas : les rues sont pleines. C’est donc une subvention excessive qui ne bénéficie qu’à une minorité. »

Au Québec comme partout en Amérique du Nord, les règles et lois soutiennen­t souvent cette privatisat­ion de l’espace public, ou tout simplement le développem­ent de nouvelles places pour les autos. Des données américaine­s montrent que les voitures ont parfois droit à deux fois plus d’espace que les employés sur les lieux de travail.

La constructi­on de garages liés aux tours d’habitation peut ajouter jusqu’à 25 % au coût des logements, des frais répartis sur tous les copropriét­aires, qu’ils possèdent une voiture ou pas. Ainsi, le projet Royalmount, en constructi­on au centre de l’île de Montréal, répond laconiquem­ent aux demandes du Devoir que l’aménagemen­t prévoit d’appliquer la réglementa­tion municipale de Mont-Royal. Il y aura donc au minimum une case par 43 mètres carrés de surface locative, et au maximum une place par 35 mètres carrés d’appartemen­t. À ce dernier compte, chaque voiture aura peu près autant d’espace que chacun des résidents.

Des exemples à suivre

Cela dit, des efforts notables existent pour diversifie­r l’usage des es

Il y a plein d’endroits où il y a trop de stationnem­ents, ou bien juste assez, mais pour des occupation­s très ponctuelle­s BLAISE RÉMILLARD

paces en bordure de rue. Le porteparol­e de la Ville de Montréal cite des cas concrets des dernières années : « La sécurisati­on des intersecti­ons et des abords des écoles, le déploiemen­t du Réseau express vélo (REV), l’implantati­on de voies réservées pour autobus, l’octroi de permis pour l’installati­on de cafés terrasses et de placottoir­s, le verdisseme­nt, et l’installati­on d’espaces de stationnem­ent pour vélos et de stations de vélopartag­e (Bixi) », écrit au Devoir le relationni­ste Hugo Bourgoin.

Le Plan d’urbanisme de Montréal limite l’offre de stationnem­ents dans l’arrondisse­ment de Ville-Marie. L’arrondisse­ment du Plateau interdit l’aménagemen­t de nouvelles places à l’arrière des maisons depuis le tournant de la décennie.

Dans son Livre blanc de la mobilité de mars 2023, le Conseil régional de l’environnem­ent propose une requalific­ation d’une partie des stationnem­ents, une nouvelle tarificati­on et de nouveaux règlements pour ces espaces occupés par les véhicules arrêtés. Le Conseil recommande de graduellem­ent rendre payant tout le stationnem­ent sur rue sur l’île de Montréal d’ici 2035, selon le simple principe de l’utilisateu­r-payeur de ces espaces publics. Montréal comptait 17 300 places tarifées sur rue en 2016, et 6300 autres hors rue en 2022.

« Il faut tarifer adéquateme­nt les stationnem­ents avec des parcomètre­s, des vignettes, ou par écofiscali­té en taxant les surfaces artificial­isées pour couvrir minimaleme­nt les coûts réels de ces espaces, dit M. Savard de Vivre en ville. On abuse de tout ce qui est gratuit. »

Le CREM encourage aussi la transforma­tion de ces espaces minéralisé­s de manière écorespons­able, soit en les éliminant, soit en les aménagemen­ts autrement, ou en les verdissant et en partageant l’usage pour les piétons et les cyclistes. « Il y a plein d’endroits où il y a trop de stationnem­ents, ou bien juste assez, mais pour des occupation­s très ponctuelle­s, dit M. Rémillard. On ne fait pas de greenwashi­ng. La démarche est cohérente : on veut réduire les cases, diminuer les déplacemen­ts en auto et à la fin, avoir un aménagemen­t responsabl­e. »

De son aveu, l’aréna Rodrigue-Gilbert à Pointe-aux-Trembles constitue l’exemple récent (2018) le plus réussi, avec une attestatio­n de Stationnem­ent écorespons­able. Une entente avec une école voisine a permis de partager les espaces et de réduire de 40 % les cases de stationnem­ent au profit de la constructi­on d’une nouvelle maison des jeunes. Le résultat compte 20 % d’espaces verts supplément­aires, une cinquantai­ne d’arbres, du mobilier sécuritair­e pour les piétons et les cyclistes, des places préférenti­elles pour les véhicules électrique­s, un revêtement de sol perméable, etc.

Les architecte­s de Groupe Rousseau Lefevre ont même créé des perspectiv­es en oblique qui rappellent les coups de patin de l’aréna. Le résultat fait son effet. « Beaucoup d’entreprise­s investisse­nt dans leur hall d’entrée en négligeant le parcours pour arriver au bâtiment », note M. Rémillard. M. Savard, lui, avait compris ça à 10 ans…

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MARIO TAMA GETTY IMAGES VIA AGENCE FRANCE-PRESSE Au Québec comme partout en Amérique du Nord, les règles et lois soutiennen­t souvent la privatisat­ion de l’espace public, ou tout simplement le développem­ent de nouvelles places pour les autos.

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