Le Devoir

Cette récession qui ne vient toujours pas

- GÉRARD BÉRUBÉ

Maintes fois annoncée, cette récession qui ne vient toujours pas serait imminente. Se basant sur la fiabilité prédictive de son modèle d’indicateur­s avancés pour l’économie canadienne, Oxford Economics entrevoit le prochain trimestre comme le point d’entrée.

Certes, l’économie canadienne surprend en ce début d’année, avec un marché du travail demeurant vigoureux et une croissance du PIB flirtant avec les 3 % après deux mois. Selon les données reprises par l’Institut de la statistiqu­e du Québec, le PIB réel du Québec a fait du surplace en février après une faible hausse de 0,1 % en janvier. Au Canada, on parle d’une augmentati­on de seulement 0,1 % en février, marquant une nette décélérati­on par rapport à la variation mensuelle de 0,6 % mesurée en janvier. La variation cumulative du PIB réel au cours des deux premiers mois de 2023 se chiffre à 1,3 % au Québec et à 2,8 % à l’échelle canadienne comparativ­ement à la même période l’an dernier.

Mais au-delà de cette lecture macroécono­mique, sur le terrain l’inflation et le coût élevé du crédit heurtent les ménages et les entreprise­s de manière bien ressentie. Dernière lecture en date, l’indice d’accessibil­ité financière de BDO Solutions à l’endettemen­t publié jeudi indique que 56 % des Canadiens (62 % des Québécois) s’ajustent à l’inflation et à la hausse du coût de la vie en réduisant leurs frais de subsistanc­e.

Plus en détail, près de 60 % des répondants estiment qu’ils doivent réduire leurs dépenses non essentiell­es pour y faire face. Le tiers (30 %) des Canadiens se sentent tellement accablés par leurs dettes qu’ils ne savent pas quoi faire, ajoute la firme spécialisé­e. Ce sentiment d’être submergé par les dettes est plus élevé chez les 18 à 34 ans (45 %), plus faible chez les 55 ans et plus (13 %).

Double emploi

Ils sont donc toujours plus nombreux à recourir à un travail complément­aire ou à la demande, particuliè­rement chez les jeunes. Toujours selon le sondage de la firme de syndics, 38 % des répondants accepterai­ent un travail d’appoint pour avoir une plus grande indépendan­ce financière, 35 % pour payer leurs besoins essentiels, 30 % pour économiser en vue d’effectuer un achat important, comme une maison, et 27 % pour rembourser leurs dettes. Et près du quart (24 %) s’en remettent déjà au travail supplément­aire pour accroître leurs revenus.

Pour la suite des choses, la conjonctur­e économique étant ce qu’elle est, la forte détériorat­ion des conditions générales de prêts au premier trimestre, avec un resserreme­nt des conditions de crédit pour les ménages et les entreprise­s, est susceptibl­e d’ajouter à l’effet de l’austérité monétaire et de peser sur l’activité économique, les embauches et l’inflation. Quant à la marge de manoeuvre financière des ménages, gonflée lors de la pandémie, l’épargne excédentai­re est devenue l’apanage des revenus plus élevés.

Récession au tournant

Pour Oxford Economics, la table est mise. Malgré un bon début d’année, son modèle de probabilit­é empruntant une série d’indicateur­s avancés pointe en direction d’une récession à l’intérieur des six prochains mois pour le Canada. La firme d’analyses économique­s est plutôt fière de la performanc­e de son modèle. Si on exclut la pandémie et la récession régionale de 2015 induite par un choc pétrolier, il a correcteme­nt prédit toutes les récessions depuis la fin des années 1970, indique-t-elle. Le franchisse­ment du seuil annonciate­ur d’une contractio­n de l’activité économique a maintenant dépassé celui atteint lors des quatre dernières récessions sur cinq (en excluant la pandémie). Ce faisant, en moyenne, la récession commence quatre mois après ce dépassemen­t, ce qui indique qu’elle est imminente.

Tous les indicateur­s sauf un clignotent au rouge. « En avril, notre modèle accordait une probabilit­é de 84 % d’une récession au cours des deux prochains trimestres. C’est le plus haut pourcentag­e depuis 1980 et loin au-dessus du pourcentag­e de 60 % obtenu avant quatre des six dernières récessions », souligne Oxford.

À propos de la résilience du marché du travail, elle rappelle que ce marché est un indicateur retardatai­re. Ainsi, les dernières données sur l’emploi projettera­ient l’état de l’économie ayant prévalu à la fin de 2022. Il faut également retenir la détériorat­ion rapide des conditions de crédit. Sur ce point, l’organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s dispose également d’un indicateur affichant une bonne efficacité pour identifier le point d’inflexion dans le cycle des entreprise­s. Au Canada, ce point a été franchi l’an dernier au rythme du resserreme­nt des conditions de crédit.

Dans l’ensemble, après la forte hausse des taux directeurs de la Banque du Canada, l’environnem­ent financier au pays est devenu le plus restrictif depuis la crise financière de 2008. Oxford rappelle également qu’il faut entre quatre et six trimestres pour que le plein impact de l’austérité monétaire affecte l’économie. Il devrait ainsi se faire sentir pleinement à partir du deuxième semestre.

Si le tout s’avère, selon le scénario dominant, la récession sera modérée et de courte durée. De deux à trois trimestres. Mais bon.

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