Le Devoir

Habiter au Vietnam pour se « décolonise­r »

- SANDRINE VIEIRA

Lorsqu’il visionne les cassettes VHS de son enfance, Pascal est stupéfait : le bambin qu’il voit à l’écran s’exprime parfaiteme­nt en vietnamien, sa langue maternelle. Une langue qu’il a presque complèteme­nt perdue aujourd’hui.

« Je n’étais qu’un bébé et on me voit parler avec un accent parfait. Mes phrases étaient cohérentes et même plus complexes que ce que je fais maintenant », admet l’artiste de 32 ans lors d’un entretien avec Le Devoir.

Né à Montréal, Pascal a grandi en entendant du vietnamien à la maison. Ses parents, qui ont immigré au Québec à la fin de la guerre du Vietnam, en 1975, le parlaient couramment entre eux. Si cette exposition lui a permis d’acquérir une certaine maîtrise de la langue, elle s’est graduellem­ent effacée après son entrée à la garderie, où le français a pris le dessus.

« Mes parents m’ont ensuite envoyé à l’école vietnamien­ne le dimanche. Je détestais ça, car ça me rappelait mes différence­s culturelle­s. Comme j’étais victime de racisme et d’intimidati­on, je ne voulais pas m’associer [à la culture] », se rappelle-t-il.

Ce n’est que deux décennies plus tard, dans sa vingtaine, que Pascal a ressenti le désir de reconnecte­r avec son identité. « Je suis une personne vietnamien­ne qui a été formatée comme Québécois. Toutes mes références culturelle­s sont québécoise­s. J’ai perdu tout ce qui était vietnamien en moi à travers le temps », déplore-t-il.

Au début de sa vingtaine, il a alors décidé d’aller habiter pendant un an au Vietnam pour se plonger tête première dans la culture de ses ancêtres. Il y a suivi des cours de vietnamien sur une base quotidienn­e en plus de suivre des cours de musique traditionn­elle.

« Aller au Vietnam, c’était un effort pour décolonise­r mon esprit et redevenir vietnamien. C’était pour rendre justice à mon histoire », explique-t-il.

Une expérience « magique »

Dix ans plus tard, Pascal garde des souvenirs mitigés de son expérience. Celui qui espérait « redevenir Vietnamien » conclut qu’il « n’a pas réussi ».

Quand il repense à cette année-là, il relate que les amitiés qu’il a forgées étaient principale­ment avec des personnes d’origine vietnamien­ne ayant grandi en Europe ou aux États-Unis. « Après 20 ans au Québec, tu ne peux pas effacer et remplacer les années perdues. J’ai des parties de moi qui sont vietnamien­nes, mais la proportion québécoise est trop grande, et c’est correct », poursuit-il.

Malgré tout, Pascal dit avoir vécu une expérience « profonde » au Vietnam. Son périple lui aura notamment permis de mieux lire, écrire et comprendre la langue de ses parents — même si entretenir une conversati­on demeure toujours aussi difficile.

Ses rencontres lui ont aussi offert la chance de renouer, en quelque sorte, avec ses grands-parents. Durant son enfance, leur communicat­ion était difficile. « La barrière culturelle était trop importante. Je ne savais pas de quoi ils parlaient, on n’avait pas les mêmes références », se remémore-t-il.

« Mais ce qui était extraordin­aire lors de mon année au Vietnam, c’est que dans chaque personne que je rencontrai­s, je voyais un peu de mes grands-parents : la manière dont ils parlaient, ou même comment ils s’asseyaient… Ç’a été un moment magique. J’ai pu connaître mes grands-parents à travers les Vietnamien­s que j’ai rencontrés là-bas. »

Trouver sa communauté

Aujourd’hui encore, Pascal réfléchit aux manières de renouer avec sa culture ; il n’écarte pas la possibilit­é d’aller de nouveau au Vietnam pour une longue période. Il a aussi trouvé un nouveau groupe d’amis avec qui discuter de ces questions identitair­es.

« J’ai maintenant des amis queers, artistes et vietnamien­s. On se voit de temps en temps pour des soupers vietnamien­s et on parle de ces enjeux-là. On se dit même quelques trucs en vietnamien des fois ! » se réjouit-il.

« On est tous sur le même parcours de réapprenti­ssage politique et de réappropri­ation. C’est une chose qui réémerge chez moi depuis quelques années. Avant, j’étais isolé, mais maintenant, je sens que j’ai une communauté et qu’on est tous dans le même bateau. »

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En haut, accompagné de sa mère, Pascal Huynh se tient devant l’autel consacré à ses grands-parents, avec qui « la barrière culturelle était trop importante ».
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nhi, un instrument à cordes traditionn­el du Vietnam que Pascal a appris à jouer afin de se plonger dans la culture de ses ancêtres.
PHOTOS VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR À droite, on aperçoit un dàn nhi, un instrument à cordes traditionn­el du Vietnam que Pascal a appris à jouer afin de se plonger dans la culture de ses ancêtres.

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