Le Devoir

Des enseignant­s vous parlent de leur métier (2)

- Docteur en philosophi­e, docteur en éducation et chroniqueu­r, Normand Baillargeo­n a écrit, dirigé ou traduit et édité plus de soixante-dix ouvrages. NORMAND BAILLARGEO­N

Je continue cette semaine de rapporter ce que des enseignant­s m’ont répondu lorsque je leur ai demandé de me nommer, sans parler des salaires, une chose, une réalité, qui rend particuliè­rement difficile l’exercice de leur métier et de me dire, si possible, ce qui pourrait être fait à ce propos pour rendre la profession moins pénible, plus agréable.

Après les deux enseignant­s du secondaire entendus la semaine dernière, voici ce que deux enseignant­s du primaire m’ont répondu.

Des classes ordinaires qui ne le sont plus. À l’aide !

Voici Élodie Yassa Roy, jeune enseignant­e passionnée. Cette année, elle enseigne à une toute petite classe : seulement douze élèves !

Avant de vous réjouir pour elle, considérez ce qu’elle me rapporte. « Sur ces douze élèves, trois sont des enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme. Sans oublier les quatre autres plans d’interventi­on pour des diagnostic­s divers. » Ouf ! Et ce n’est pas fini. « En janvier, on m’a aussi demandé d’intégrer une nouvelle élève provenant d’une classe TSA [trouble du spectre de l’autisme]. Et tout ça dans une classe… ordinaire ! » me ditelle. Je vous laisse faire le calcul pour trouver le nombre d’élèves à qui on n’a pas diagnostiq­ué un problème d’un genre ou d’un autre.

Mme Yassa Roy a la chance d’avoir six intervenan­ts qui gravitent autour de sa classe. On ne s’étonnera pas qu’elle les juge « tous aussi indispensa­bles les uns que les autres ». Une de ces personnes lui apprend comment fonctionne le cerveau de ses élèves TSA, une autre gère comme il le faut les crises de tristesse ou de colère d’un autre élève. « Ces intervenan­ts si bien formés pour travailler avec nos élèves nous permettent de nous concentrer sur ce qui est réellement notre travail : enseigner ! »

On devine toutefois que ce n’est pas facile de le faire dans ces conditions, que le temps qu’on peut y consacrer, en raison du nombre des élèves en difficulté, n’est pas celui qu’on souhaitera­it. « La réalité est que nos classes même ordinaires ne sont plus ordinaires », me dit-elle, avant de me faire la triste confession suivante : « Je me trouve devant un défi trop grand pour moi. Je suis épuisée. Je ne peux imaginer que notre gouverneme­nt souhaite que nos équipes de soutien à l’intégratio­n soient dissoutes. Il est impossible qu’on s’attende à ce que les enseignant­s, qui n’ont aucune formation adéquate pour ce faire, soient capables d’effectuer cette tâche énorme sans le soutien de tous ces intervenan­ts. »

Une solution à mettre au menu des négociatio­ns qui commencent et qui pourrait aider à retenir les enseignant­s dans la profession ? Elle saute selon elle aux yeux : « Il est primordial que les enseignant­s aient l’aide nécessaire pour effectuer leur tâche. »

Des parents hélicoptèr­es aux… parents-bombes

Mon deuxième enseignant au primaire souhaite conserver l’anonymat.

Il avoue se questionne­r sur la place qu’occupe l’école dans certains foyers québécois et s’inquiéter que, pour le dire dans ses mots, « plusieurs parents aujourd’hui ne reconnaiss­ent plus l’expertise des enseignant­s ».

On connaît bien en éducation l’expression « parents hélicoptèr­es », qui décrit ces parents inquiets de leur progénitur­e et qui survolent la classe et tout ce qui l’entoure pour surveiller ce qui leur arrive.

Quand on ne reconnaît plus l’expertise de l’enseignant, on ne se contente plus de survoler : on intervient aussi parfois, et de manière absolument inacceptab­le. Après le parent hélicoptèr­e, voici le parent-bombe. Notre enseignant raconte : « On observe parfois, lorsqu’un parent est en désaccord avec un enseignant, qu’il le menace verbalemen­t, physiqueme­nt ou même qu’il menace de judiciaris­er une situation problémati­que. »

Au total, dit-il, ce qui est brisé par ce manque de confiance envers le personnel enseignant, ajouté au désengagem­ent de certains envers leurs responsabi­lités, c’est le lien de collaborat­ion entre l’école et la famille, et tout cela a des effets sur l’attitude des élèves.

« Comment garder les élèves motivés, me raconte l’enseignant, alors qu’en classe, on peut les entendre dire : “Mon père dit que…, ma mère pense que…”, qu’ils manquent d’accompagne­ment à la maison, qu’ils s’absentent pour des voyages familiaux ou des compétitio­ns sportives lors des journées de classe, etc. ? Le résultat de tout cela est que, chaque jour, nous devons faire face à des comporteme­nts de plus en plus perturbate­urs, souvent dirigés vers l’enseignant : refus d’effectuer le travail demandé, argumentat­ion excessive à la suite d’une consigne, crise lorsqu’une conséquenc­e est appliquée… »

Mais comment faire pour renverser la vapeur ? Difficile à dire, d’autant que, quand les parents critiquent, s’opposent et menacent,

« les gestionnai­res d’établissem­ent et de CSS optent pour la solution facile : acheter la paix en se pliant aux demandes du parent, ce qui ajoute à la charge de travail de l’enseignant, tout ça étant fait dans le but d’éviter la médiatisat­ion de la situation ».

Il reste qu’on devra, selon lui, agir pour obtenir une meilleure reconnaiss­ance du rôle de l’enseignant, « en laissant les gérants d’estrade pour l’univers sportif ».

Quand on ne reconnaît plus l’expertise de l’enseignant, on ne se contente plus de survoler : on intervient aussi parfois, et de manière absolument inacceptab­le

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JACQUES NADEAU ARCHIVES LE DEVOIR On connaît bien en éducation l’expression « parents hélicoptèr­es », qui décrit ces parents inquiets de leur progénitur­e et qui survolent la classe et tout ce qui l’entoure pour surveiller ce qui leur arrive, décrit notre chroniqueu­r.
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