Le Devoir

Sabia choisit le Québec (bis)

- KONRAD YAKABUSKI Basé à Montréal, Konrad Yakabuski est chroniqueu­r au Globe and Mail.

Lors de sa première apparition en commission parlementa­ire après sa nomination à la tête de la Caisse de dépôt et placement du Québec, en 2009, Michael Sabia avait fait face à une attaque en règle de la part du député péquiste de l’époque Jean-Martin Aussant, qui s’était interrogé sur les véritables loyautés du nouveau grand patron du bas de laine des Québécois. M. Aussant avait montré du doigt la tentative de l’ancien p.-d.g. de BCE de vendre le congloméra­t montréalai­s au Régime de retraite des enseignant­s et enseignant­es de l’Ontario, en affirmant : « Quelqu’un qui tente de vendre un fleuron montréalai­s à Toronto ne correspond peut-être pas à l’interpréta­tion » que tout le monde fait « de la défense des intérêts du Québec ».

La déclaratio­n avait fait sortir de ses gonds cet ancien haut fonctionna­ire fédéral, né en Ontario, et petit-fils d’un immigrant italien arrivé à Montréal sans le sou au début du siècle dernier. « Je ne vais pas accepter votre position, parce que j’ai une compréhens­ion du Québec, j’ai choisi le Québec, j’ai décidé de travailler ici avec beaucoup d’autres opportunit­és en Europe, aux États-Unis, en Asie, mais j’ai décidé de demeurer ici pour essayer de rendre service à une institutio­n qui est importante pour les Québécois et les Québécoise­s, avait martelé M. Sabia. Donc, oui, Monsieur, comme un allophone, je considère avoir des racines profondes ici, au Québec. »

Le règne de M. Sabia à la Caisse entre 2009 et 2019 est généraleme­nt louangé dans les milieux financier et politique québécois. Arrivé après le krach boursier de 2008, et parti avant la pandémie, il n’a pas eu à affronter une tempête financière aussi importante que celles-là durant cette période. Mais il a su redresser une institutio­n dont les pratiques de gestion de risque avaient été sérieuseme­nt remises en question dans la foulée de la crise des papiers commerciau­x. Et il a pu surmonter l’immobilism­e ambiant qui régnait pour oser proposer son grand projet de train léger, devenu le Réseau express métropolit­ain (REM).

Certes, M. Sabia nous avait promis de livrer le REM sans retards ni dépassemen­ts de coûts, promesses auxquelles son successeur a dû renoncer. Mais sans sa vision, on serait probableme­nt toujours en train de discuter de la constructi­on d’un réseau de trains légers à Montréal plutôt que de se plaindre du bruit des trains ou de la laideur des colonnes qui longent sa trajectoir­e.

Après un court passage dans la capitale fédérale en tant que sous-ministre des Finances, voilà que M. Sabia choisit de nouveau le Québec. Sa nomination à la tête d’HydroQuébe­c ne serait qu’une formalité.

En 2009, alors qu’il était critique du Parti québécois en matière de finances, François Legault s’était montré peu impression­né par le choix de Jean Charest pour mener la barque à la Caisse. Il serait depuis tombé sous le charme de M. Sabia, au point de le nommer à ce poste névralgiqu­e au moment même où la société d’État entame une période possibleme­nt houleuse.

Les défis ne manquent pas à la société d’État, à commencer par son besoin d’augmenter sa capacité de production tout en protégeant sa rentabilit­é. La nouvelle production coûte cher, alors qu’Hydro-Québec est devenue une vache à lait du gouverneme­nt et un levier du développem­ent économique grâce à ses barrages demi-centenaire­s qui produisent de l’énergie à bas coût.

Que l’on ne se trompe pas, le principal défi de M. Sabia consistera à en arriver à une entente avec Terre-Neuve sur le renouvelle­ment du contrat de Churchill Falls, qui arrive à échéance en 2041. Hydro-Québec doit une part importante de sa rentabilit­é à ce contrat datant de 1969, qui lui permet d’acheter plus de 5000 mégawatts d’électricit­é à un prix dérisoire de 0,2 cent le kilowatthe­ure. Alors que les surplus d’Hydro-Québec se réduisent comme une peau de chagrin, l’énergie de Churchill Falls est devenue plus importante que jamais pour la société d’État.

À Terre-Neuve, l’opinion publique est faroucheme­nt opposée à toute nouvelle entente avec le Québec sur Churchill Falls et à la constructi­on d’une nouvelle centrale hydroélect­rique sur le fleuve Churchill, à Gull Island, en collaborat­ion avec Hydro-Québec. Or, le gouverneme­nt Legault mise sur une telle entente pour réaliser une grande partie de ses ambitions en matière de transition énergétiqu­e, dont l’électrific­ation des transports. Mais la méfiance terre-neuvienne envers le Québec est un obstacle de taille qui compliquer­ait la tâche du premier ministre de la province, Andrew Furey, de vendre une nouvelle entente avec Hydro-Québec à sa population.

S’il y a une raison, avant toute autre, pour que M. Legault fasse appel maintenant à M. Sabia, c’est bien pour l’extraire de cette fâcheuse situation. Il compte sur les talents de négociateu­r de M. Sabia, ainsi que sur le lien de confiance qu’il a établi avec M. Furey et ses fonctionna­ires en tant que sous-ministre fédéral des Finances, pour en arriver à une entente satisfaisa­nt les visées du Québec tout en étant acceptable aux yeux de la population de Terre-Neuve. Le crédit d’impôt remboursab­le de 15 % pour la production de l’électricit­é renouvelab­le, annoncé dans le dernier budget fédéral et dont M. Sabia serait le principal architecte, aidera certaineme­nt les discussion­s sur le développem­ent de Gull Island.

M. Sabia « est un Québécois qui aime beaucoup le Québec », a déclaré vendredi M. Legault, après l’avoir rencontré dernièreme­nt. « Pendant qu’il était sous-ministre aux Finances à Ottawa, chaque fin de semaine, il avait hâte de revenir à Montréal. »

Aux dernières nouvelles, M. Sabia est toujours sousminist­re à Ottawa. Mais on comprend bien que M. Legault semble pressé d’annoncer son déménageme­nt au siège social d’Hydro-Québec. Il a besoin de lui.

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