Le Devoir

François Legault, chauffeur de purgatoire ?

Le premier ministre et chef caquiste devra faire un choix s’il veut éviter ce titre peu reluisant

- Rémi Villemure L’auteur est étudiant à la maîtrise en histoire et auteur

Depuis son arrivée au pouvoir, François Legault ne cesse d’être comparé à des premiers ministres qui l’ont précédé.

Dès octobre 2018, rappelons-le, on s’était mis à faire un lien un peu douteux avec Maurice Duplessis. Legault affichait alors fièrement sa politique autonomist­e et s’apprêtait même à faire preuve de populisme, voire de paternalis­me, ce qui ne manquerait pas de nous rappeler certains traits du « Cheuf ».

Mais c’est véritablem­ent la sortie de François Legault au lendemain du débat des chefs en anglais durant la campagne électorale fédérale de 2021 qui a réveillé le souvenir le plus convaincan­t d’un ancien premier ministre du Québec. Après avoir affirmé ce jour-là que « la nation québécoise est attaquée », François Legault n’a pas pu s’empêcher de paraphrase­r Robert Bourassa en établissan­t que « quoi qu’on dise […] quoi qu’on fasse à Ottawa, le Québec est une nation libre de protéger sa langue, ses valeurs et ses pouvoirs ».

La comparaiso­n avec Robert Bourassa est devenue par la suite assez

Et si François Legault, après avoir été Maurice Duplessis et Robert Bourassa, était aussi en quelque sorte Jean Lesage ?

convaincan­te. Et depuis le début du deuxième mandat de la Coalition avenir Québec, elle est même plutôt redondante, car le nationalis­me manqué du gouverneme­nt — en matière de langue et d’immigratio­n principale­ment — rappelle à s’y méprendre les bravades des libéraux d’avant 1995, une période marquée par une sympathie peut-être sincère à l’égard de la majorité historique francophon­e, mais aussi par une démarche fumeuse et confuse.

Mais si les comparaiso­ns ne s’arrêtaient pas là ?

Le 12 décembre 1963, dans une lettre publiée dans Le Devoir, l’écrivain et médecin Jacques Ferron commentait le début du deuxième mandat de Jean Lesage à la tête du Québec et faisait remarquer que le Parti libéral plafonnait déjà — malgré la promesse d’un renouveau — en refusant de s’offrir les moyens nécessaire­s pour orchestrer la réelle émancipati­on du Québec, celle qui pourrait se déployer au- delà de la tranquilli­té d’une « révolution » amorcée en 1960.

À l’époque, dans l’opposition, Daniel Johnson — qui allait basculer lui aussi dans l’ambivalenc­e lors de son règne, entre 1966 et 1968 — songeait à ouvrir le dossier constituti­onnel, optant alors pour « le langage de la santé et du bon sens », selon Ferron. Quant à Jean Lesage, il se débattait plutôt « comme un héros de Kafka » à l’intérieur de la Constituti­on.

Et si François Legault, après avoir été Maurice Duplessis et Robert Bourassa, était aussi en quelque sorte Jean Lesage ?

Tout comme le premier ministre à la tête de « l’équipe du tonnerre », Legault bénéficie d’une cote de popularité remarquabl­e, laquelle lui permettrai­t fort probableme­nt d’ouvrir le dossier constituti­onnel. Tout comme Lesage, Legault est pressé par une opposition — le Parti québécois, à l’ère contempora­ine — qui rappelle les incohérenc­es du maintien du Québec à l’intérieur du Canada. Et tout comme Lesage, Legault n’a plus beaucoup de temps. Sa popularité pourrait décroître au fur et à mesure que son gouverneme­nt s’use dans le temps et qu’il refuse de se positionne­r plus clairement par rapport aux enjeux vitaux de la nation.

D’ailleurs, à propos de Jean Lesage et de ses pesantes hésitation­s, Jacques Ferron se demandait, en concluant sa lettre publiée il y a 60 ans, si ce dernier, face au destin québécois, laisserait à la postérité « le souvenir d’un chauffeur de purgatoire ».

Le débat au sujet du français et de l’immigratio­n est un clin d’oeil de l’histoire. Depuis le recensemen­t de 2021 et l’annonce des nouvelles cibles d’immigratio­n du fédéral, le Québec reprend pleinement conscience de sa vulnérabil­ité à l’intérieur du Canada.

Dans les prochains mois, François Legault devra faire un choix, mais s’il veut éviter le titre peu reluisant de « chauffeur de purgatoire », il devra renouer avec ses conviction­s nationalis­tes.

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