Ces mensonges qui aident à vivre
Dans You Hurt my Feelings, Julia Louis-Dreyfus est aussi hilarante que touchante en autrice plongée en pleine crise existentielle
Toute vérité est-elle bonne à dire ? A fortiori au sein du couple ? Cette question, posée de longue date mais dépourvue à ce jour d’une réponse simple, est au coeur du film de Nicole Holofcener You Hurt my Feelings.
Chantre des personnages qui ont l’art de se compliquer la vie d’une manière d’autant plus drôle et touchante qu’elle sonne toujours juste, la réalisatrice de Walking and Talking et
Friends with Money offre là l’une de ses meilleures comédies dramatiques.
Dans ce film adoubé au festival de Sundance, Nicole Holofcener fait encore la démonstration de son sens comique infaillible. La cinéaste retrouve Julia Louis-Dreyfus après leur fabuleux Enough Said. La vedette de
Seinfeld et de Veep est à nouveau plus que parfaite, cette fois dans le rôle de Beth, une autrice qui peine à terminer son premier roman après la parution de mémoires bien reçus, mais peu vendus.
Au moins Beth peut-elle compter sur les encouragements indéfectibles de Don, son mari psychologue, qui lit avec enthousiasme chaque nouvelle version qu’elle lui soumet.
Cette façade de confort matrimonial ne peut que se fissurer, évidemment. La première lézarde se manifeste par hasard, lorsque Beth surprend une conversation où Don admet ne pas aimer le fameux roman, version après version.
Beth encaisse le coup et vit le moment comme une immense trahison (le film comporte une tonne de scènes hilarantes, mais celle-ci n’en est pas une). Si Don lui a menti de la sorte, à répétition, lui a-t-il menti sur autre chose ? Pourra-t-elle jamais lui refaire confiance ? Dans la négative, que font-ils ensemble ?
Quoique Beth n’était-elle pas heureuse quand elle avait la certitude que son conjoint appréciait son travail ? Dès lors, Don n’a-t-il pas « bien fait » de lui mentir, ou enfin, de ne pas lui dire la vérité ?
Avec son mélange usuel de franchise, d’acuité, d’humour surtout, mais de tendresse également, Nicole Holofcener explore ces questionnements et leurs nuances, tout en nous invitant à en faire de même.
Dire vrai ou mentir
L’exercice est d’autant plus irrésistible que la scénariste et réalisatrice a imaginé différentes variations de dénis et de dissimulations pour ses personnages. D’ailleurs, il convient de préciser que Don est lui aussi ébranlé par un commentaire qu’il n’était pas censé entendre.
En effet, à l’issue d’une consultation en visioconférence, son patient marmonne en quittant l’application : « Bon Dieu, quel idiot… »
Toute une galerie de personnages secondaires gravite autour des époux, chacun jongle avec sa propre version du dilemme « dire vrai ou mentir ». Par exemple, le fils de Beth et de Don reproche à sa mère de l’avoir trop encouragé, enfant ; d’avoir exagéré l’étendue de ses habiletés et donc condamné à la médiocrité.
Beth a-t-elle effectivement agi de la sorte ? Le cas échéant, a-t-elle nui au développement de son fils, ou l’a-t-elle au contraire aidé en lui insufflant de la confiance en soi ? Mais dès lors que cette confiance en soi se délite quelques années plus tard, que vaut-elle ?
On l’aura compris, maintes interrogations débouchent sur davantage d’incertitude. La beauté du film est que Nicole Holofcener ne prétend pas connaître les réponses à ces questions existentielles. Et même si elle les connaissait, serait-ce vraiment nous rendre service que de nous les donner ? Voilà une autre question merveilleusement insoluble.
You Hurt my Feelings (V.O.A.)
Comédie dramatique de Nicole Holofcener. Avec Julia Louis-Dreyfus, Tobias Menzies, Michaela Watkins, Arian Moayed, Owen Teague, Jeannie Berlin. États-Unis, 2023, 93 minutes. En salle.