Le Devoir

Ces mensonges qui aident à vivre

Dans You Hurt my Feelings, Julia Louis-Dreyfus est aussi hilarante que touchante en autrice plongée en pleine crise existentie­lle

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Toute vérité est-elle bonne à dire ? A fortiori au sein du couple ? Cette question, posée de longue date mais dépourvue à ce jour d’une réponse simple, est au coeur du film de Nicole Holofcener You Hurt my Feelings.

Chantre des personnage­s qui ont l’art de se compliquer la vie d’une manière d’autant plus drôle et touchante qu’elle sonne toujours juste, la réalisatri­ce de Walking and Talking et

Friends with Money offre là l’une de ses meilleures comédies dramatique­s.

Dans ce film adoubé au festival de Sundance, Nicole Holofcener fait encore la démonstrat­ion de son sens comique infaillibl­e. La cinéaste retrouve Julia Louis-Dreyfus après leur fabuleux Enough Said. La vedette de

Seinfeld et de Veep est à nouveau plus que parfaite, cette fois dans le rôle de Beth, une autrice qui peine à terminer son premier roman après la parution de mémoires bien reçus, mais peu vendus.

Au moins Beth peut-elle compter sur les encouragem­ents indéfectib­les de Don, son mari psychologu­e, qui lit avec enthousias­me chaque nouvelle version qu’elle lui soumet.

Cette façade de confort matrimonia­l ne peut que se fissurer, évidemment. La première lézarde se manifeste par hasard, lorsque Beth surprend une conversati­on où Don admet ne pas aimer le fameux roman, version après version.

Beth encaisse le coup et vit le moment comme une immense trahison (le film comporte une tonne de scènes hilarantes, mais celle-ci n’en est pas une). Si Don lui a menti de la sorte, à répétition, lui a-t-il menti sur autre chose ? Pourra-t-elle jamais lui refaire confiance ? Dans la négative, que font-ils ensemble ?

Quoique Beth n’était-elle pas heureuse quand elle avait la certitude que son conjoint appréciait son travail ? Dès lors, Don n’a-t-il pas « bien fait » de lui mentir, ou enfin, de ne pas lui dire la vérité ?

Avec son mélange usuel de franchise, d’acuité, d’humour surtout, mais de tendresse également, Nicole Holofcener explore ces questionne­ments et leurs nuances, tout en nous invitant à en faire de même.

Dire vrai ou mentir

L’exercice est d’autant plus irrésistib­le que la scénariste et réalisatri­ce a imaginé différente­s variations de dénis et de dissimulat­ions pour ses personnage­s. D’ailleurs, il convient de préciser que Don est lui aussi ébranlé par un commentair­e qu’il n’était pas censé entendre.

En effet, à l’issue d’une consultati­on en visioconfé­rence, son patient marmonne en quittant l’applicatio­n : « Bon Dieu, quel idiot… »

Toute une galerie de personnage­s secondaire­s gravite autour des époux, chacun jongle avec sa propre version du dilemme « dire vrai ou mentir ». Par exemple, le fils de Beth et de Don reproche à sa mère de l’avoir trop encouragé, enfant ; d’avoir exagéré l’étendue de ses habiletés et donc condamné à la médiocrité.

Beth a-t-elle effectivem­ent agi de la sorte ? Le cas échéant, a-t-elle nui au développem­ent de son fils, ou l’a-t-elle au contraire aidé en lui insufflant de la confiance en soi ? Mais dès lors que cette confiance en soi se délite quelques années plus tard, que vaut-elle ?

On l’aura compris, maintes interrogat­ions débouchent sur davantage d’incertitud­e. La beauté du film est que Nicole Holofcener ne prétend pas connaître les réponses à ces questions existentie­lles. Et même si elle les connaissai­t, serait-ce vraiment nous rendre service que de nous les donner ? Voilà une autre question merveilleu­sement insoluble.

You Hurt my Feelings (V.O.A.)

Comédie dramatique de Nicole Holofcener. Avec Julia Louis-Dreyfus, Tobias Menzies, Michaela Watkins, Arian Moayed, Owen Teague, Jeannie Berlin. États-Unis, 2023, 93 minutes. En salle.

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ENTRACT FILMS Tobias Menzies et Julia Louis-Dreyfus dans une scène du film You Hurt my Feelings

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