Le Québec seigneurial de la petite hache
Le beau livre de l’historien Benoît Grenier foisonne de détails sur une époque révolue
Le mot « seigneurie » fait rêver au Québec. Il évoque une NouvelleFrance mythique. Pourtant, la démographie historique, cette ingrate, nous apprend que les Québécois de souche descendent, parfois par les hommes, mais surtout par les femmes, d’un seigneur analphabète : Zacharie Cloutier (1590-1677). Charpentier, le père d’un peuple signait d’une petite hache, enseignant là en silence l’humilité autant que la solidarité.
Né à Beauport en 1976, l’historien Benoît Grenier, de l’Université de Sherbrooke, verrait dans ce simple rappel une impertinence progressiste. N’a-t-il pas révélé innocemment le conservatisme de son grand-père paternel, en écrivant dans l’avant-propos de son ouvrage, très documenté, Persistances seigneuriales, qu’à Courville, près de Québec, « on disait “bleu comme un Grenier” » ?
La ringardise du livre étonne, mais Grenier, puits de savoir, nous y apprend que le 9 novembre 1940, Le Devoir annonça qu’au Québec une loi adoptée par le gouvernement libéral d’Adélard Godbout fera en sorte que, le 11 novembre prochain, « les propriétaires actuels des seigneuries percevront leurs rentes pour la dernière fois ». Cela, malgré la loi de 1854 du Canada-Uni, « qui scellait la pierre tombale sur des institutions périmées », commenta le journal, en y voyant une évidence.
En 1854, de rares seigneurs libéraux, comme Louis-Joseph Papineau, estimaient que, malgré son caractère vieillot, le régime seigneurial, jadis utile au peuplement de la colonie, sauvegardait une institution d’origine française menacée par l’influence britannique envahissante. Mais la majorité des libéraux n’étaient pas de cet avis.
Ceux-ci étaient souvent issus du peuple, comme le député provincial Télesphore-Damien Bouchard, futur maire de Saint-Hyacinthe, qui se fera, dès 1912, signale Grenier, « le plus fervent pourfendeur des rentes constituées ». On appelait ainsi les rentes que la majorité des cultivateurs continuait de payer à leur seigneur « plutôt que de se prévaloir de la possibilité », après 1854, d’en « racheter le capital ».
Grâce à l’opiniâtreté de T.-D. Bouchard, le « tribut », jugé injuste, disparaît en 1940 « de notre territoire qui est probablement, au dire du libéral véhément, un des derniers à le subir dans l’univers ». Comme pour se consoler du progressisme de Bouchard, Grenier nous révèle, n’en déplaise à Catherine Fournier, actuelle mairesse de Longueuil, que le titre seigneurial français de « baron de Longueuil » fut reconnu transmissible à un Grant en 1880 par la reine Victoria en devenant un titre britannique !
Il est porté, depuis 2004, par un Grant, le faisant 12e baron de Longueuil ! Ce baron sera-t-il au bal costumé « seigneurial », comme le bal qui clôt le livre, richement illustré, de Grenier ? En souvenir de notre patriarche national, Zacharie Cloutier, arborera-t-il une petite hache ?