LA SÉLECTION POLAR DE MICHEL BÉLAIR ET DE SONIA SARFATI
L’impensable…
Nouvelle figure de proue du polar suédois, Camilla Grebe se spécialise dans la description d’atmosphères en porte à faux. Dans tous ses romans, elle met en scène des milieux feutrés qui explosent sous nos yeux ; les univers qu’elle construit une touche à la fois sont si réalistes que leur éclatement ne peut que remettre le monde — et ce que l’on tient pour acquis — en question. Ici, c’est la vie d’une éditrice et d’un romancier qui se délite quand on trouve le cadavre d’une jeune fille dans le chalet habité par les deux fils de la famille. Les deux garçons nient même si, comme dans les plus classiques histoires d’Agatha Christie, la maison était complètement verrouillée de l’intérieur quand on a découvert la victime. Mais les policiers ne trouvent pas de preuve formelle et la vie reprend, impossible, infernale, jusqu’à ce que, par hasard, tout s’effondre à nouveau et que l’impensable se révèle vrai. On ne vous dira évidemment rien de plus, sinon que vous en serez quitte pour une surprise monumentale. Michel Bélair
Têtu comme Don Quichotte
Melchor Marin, on l’a compris dans les deux premiers romans de la série ( Terra Alta et Indépendance, aussi chez Actes Sud), est aussi têtu que Don Quichotte quand il s’attaque à des monuments. Ici, c’est encore plus vrai qu’à l’habitude, l’ancien policier devenu bibliothécaire devant investir toute son énergie pour sauver sa fille des mains d’un personnage… inattaquable. Il s’agit en fait d’un milliardaire suédois qui a établi son « château de BarbeBleue » — et le jardin des plaisirs qui s’y cache — aux Baléares. Après avoir acheté une bonne partie du territoire, l’homme a peu à peu réussi à s’assurer aussi le silence de tout le monde : politiciens, fonctionnaires, policiers, etc. Marin devra faire appel à ses amis les plus proches et se fier à un homme déchu pour parvenir à faire éclater la vérité. Audelà de l’intrigue serrée, c’est l’écriture élégante et l’humour inqualifiable de Cercas, fort bien rendus par une traduction nerveuse, qui font l’intérêt de ce livre comme de toute la série.
Michel Bélair
Ordures et préjugés
Les ordures tiennent le haut du pavé à Elizabethville. Marie-Françoise Taggart nous avait fait découvrir cela dans son premier roman policier, qui portait pour titre le nom de cette ville fictive située tout à l’ouest de l’Ouest canadien. La romancière remet cela avec Ocre rouge, qui se déroule sur le même territoire et dans lequel des personnages alors de fond d’écran prennent les devants de la scène. Afin de faire ce que doit, peu importe les préjugés avec lesquels ils sont accueillis sous les projecteurs. C’est le cas de la sergente détective Joyce Bell, une Métisse qui a grandi dans une réserve située au nord de la capitale. Elle enquête sur la disparition de femmes autochtones. En a retrouvé certaines. Souvent, pour le pire. Et puis, il y a ce réseau de trafiquants d’êtres humains, très jeunes de préférence, qui fleurit à l’ombre des maisons cossues. Ocre rouge est un roman très « signé » côté écriture et structure. Un roman déstabilisant, dépaysant, dur. Bref, on est chez Taggart comme nulle part ailleurs. Sonia Sarfati
Noir comme le Red Light
Paru chez Triptyque en 2020, Brébeuf était une jolie surprise bien tordue signée Catherine Côté. Une incursion dans le Montréal de 1948, chez ces hommes revenus du front européen et parmi les femmes qui, en leur absence, étaient sorties de leur ombre. Le terreau est riche. La romancière y plante donc une suite, Femmes de désordre, où l’on retrouve Suzanne Gauthier, journaliste au Montréal-Matin ; son mari, Léo, rentré de la Grande Guerre, indemne de corps seulement ; et le détective Marcus O’Malley, ami du couple qui s’exprime souvent dans la langue de Shakespeare et porté sur la bouteille. Le tout commence par un meurtre commis dans une « maison de désordre ». Suzanne découvre alors la situation des femmes qui « travaillent » en ces lieux. Il y a là à dénoncer, à écrire. Pour ce faire, convaincre les gens de pouvoir, tous des hommes. Richesse des thèmes, des situations et des personnages : Catherine Côté est ici au royaume du « jamais deux sans trois ». Une suite est espérée/attendue.
Sonia Sarfati