Le Devoir

Inscriptio­ns en baisse dans les université­s

La tendance pandémique se poursuit en raison du marché de l’emploi

- MARCO FORTIER

Le plein emploi et les effets de la pandémie mettent à l’épreuve la motivation des étudiants. Les inscriptio­ns sont en baisse dans les université­s québécoise­s, surtout dans les programmes courts de premier cycle qui permettent de se qualifier en vue d’obtenir un emploi.

Le nombre d’étudiants universita­ires au Québec est retombé au niveau de 2015 après une hausse de l’effectif dans les dernières années, indiquent des données obtenues par Le Devoir. La tendance à la baisse a commencé avec la pandémie, il y a trois ans : le réseau universita­ire a perdu près de 5000 étudiants (moins 1,6 %) entre l’automne 2020 et l’automne 2022, essentiell­ement à cause de la chute des nouvelles inscriptio­ns.

« Je ne pense pas qu’on soit en situation de crise. Il n’y a pas eu de déclin extrême, mais, globalemen­t, je me préoccupe de la situation au premier cycle », dit Daniel Jutras, recteur de l’Université de Montréal (UdeM) et président du Bureau de coopératio­n interunive­rsitaire (BCI), qui regroupe les 18 établissem­ents québécois.

Les programmes courts de premier cycle, comme les certificat­s, qui étaient devenus la vache à lait des université­s depuis une dizaine d’années, sont en perte de vitesse. À l’UdeM, le nombre d’inscriptio­ns a chuté de 17,7 % en quatre ans dans ces formations d’une année. Une perte de 1728 étudiants.

Ces programmes courts attirent normalemen­t des jeunes ou des moins jeunes qui cherchent à se perfection­ner en vue d’obtenir un emploi ou une promotion. Avec la pénurie de travailleu­rs, certains n’ont plus besoin de cette formation supplément­aire : les entreprise­s manquent tellement de personnel qu’elles se résignent à embaucher des travailleu­rs moins qualifiés qu’autrefois, constatent plusieurs sources dans le réseau universita­ire.

Certaines entreprise­s préfèrent désormais former elles-mêmes des travailleu­rs recrutés d’urgence. « Dans plusieurs domaines, les université­s subissent la concurrenc­e de programmes d’accréditat­ion et de certificat­ion reconnus par les employeurs », explique Jenny Desrochers, porte-parole de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Les inscriptio­ns au baccalauré­at sont relativeme­nt stables dans le réseau, tandis que l’effectif augmente dans les programmes de maîtrise et de doctorat. Dans le milieu de l’enseigneme­nt supérieur, on considère que ces tendances traduisent d’abord une baisse de motivation des cégépiens. Ceux-ci mettent plus de temps que dans le passé à obtenir leur diplôme d’études collégiale­s. Plusieurs prennent leur temps avant de s’inscrire à l’université. Ou n’y vont pas.

L’UQAM en baisse

L’UQAM est une des plus touchées par cette apparente désaffecti­on des jeunes envers les études supérieure­s. Les inscriptio­ns au premier cycle ont baissé de façon marquée depuis l’année 2018 dans l’établissem­ent du Quartier latin. Le nombre d’étudiants dans les programmes courts comme les certificat­s a chuté de 34 % en quatre ans (une perte de 3201 étudiants). Au baccalauré­at, la baisse a été de 7 % durant la même période (1292 étudiants en moins).

« Le recrutemen­t est l’une des préoccupat­ions du nouveau recteur, Stéphane Pallage, qui en a fait un enjeu de sa campagne au rectorat en mars dernier. Les actions de recrutemen­t, ici et à l’internatio­nal, font partie des priorités de son mandat », précise Jenny Desrochers, de l’UQAM.

L’université francophon­e du centre-ville de Montréal subit les contrecoup­s de l’attrait de sa soeur jumelle anglophone, Concordia, auprès des francophon­es. L’effectif de l’établissem­ent de langue anglaise a dépassé celui de l’UQAM à compter de l’année 2018.

L’UQAM souffre particuliè­rement de la perte d’attractivi­té des programmes de certificat, qui pendant longtemps ont accueilli plus du quart de ses étudiants, rappelle la porte-parole, Jenny Desrochers. L’effectif de l’UQAM diminue ainsi, malgré la hausse des inscriptio­ns à la maîtrise et au doctorat.

L’établissem­ent du Quartier latin a pris une série de mesures pour faire augmenter sa popularité, dont des bourses d’études, des passerelle­s DEC-BAC et des initiative­s d’immersion de type « universita­ire d’un jour ». La campagne de financemen­t « 100 millions d’idées » a même dépassé son objectif en amassant 119 millions de dollars auprès de 17 500 donateurs. Mais cette bonne nouvelle n’a pas freiné la chute des inscriptio­ns.

Éviter le pire

Globalemen­t, plus de 311 000 étudiants fréquentai­ent les 18 université­s québécoise­s à la rentrée de l’automne dernier. Deux ans plus tôt, ils étaient 316 000.

L’Université Laval fait partie des établissem­ents qui ont évité le pire. L’effectif a légèrement fléchi dans la dernière année, mais les inscriptio­ns demeurent largement supérieure­s à celles de 2018 et des années précédente­s, souligne le porte-parole, Jérôme Pelletier. L’université a connu une hausse importante de ses inscriptio­ns dans la dernière décennie, même pendant les années pandémique­s de 2020 et 2021.

L’établissem­ent de Québec est considéré comme un « chef de file en formation à distance au Canada » avec 1100 cours offerts dans plus de 140 programmes. Ce virage virtuel, entrepris avant la pandémie, l’a bien servi pendant les épisodes de confinemen­t dus à la COVID.

L’Université accueille près de 8000 étudiants étrangers ou résidents permanents provenant de plus d’une centaine de pays. Ce nombre a aussi connu une croissance importante au cours des dernières années.

Vague démographi­que

Daniel Jutras souligne que le recrutemen­t internatio­nal n’est pas une panacée. Les étudiants étrangers représente­nt environ 15 % de l’effectif et des revenus des université­s (mais bien davantage dans certains cas, notamment à l’Université McGill).

Le recteur rappelle que Québec a mis en place une aide financière de trois ans pour maintenir le financemen­t des université­s aux prises avec une baisse des inscriptio­ns. Les établissem­ents sont financés en grande partie en fonction de leur effectif, mais les frais fixes (comme les salaires et les coûts d’entretien) restent les mêmes, peu importe le nombre d’étudiants.

M. Jutras dit souhaiter que ce programme d’aide soit prolongé au moins jusqu’à la hausse prévue des inscriptio­ns due à la vague démographi­que qui a fait déborder les écoles primaires et secondaire­s au cours des dernières années. En espérant que la vague sera assez puissante pour submerger les université­s.

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