Le Devoir

La fin d’un combat pour un employé victime de racisme

Bienné Blémur et la Société du parc Jean-Drapeau ont conclu une entente après des années de procédures judiciaire­s

- JEANNE CORRIVEAU

Après sept ans de démarches judiciaire­s, Bienné Blémur peut finalement tourner la page sur un épisode sombre de sa vie. L’employé victime de racisme sur son lieu de travail a conclu avec son employeur, la Société du parc Jean-Drapeau (SPJD), une entente qui reconnaît le caractère discrimina­toire du traitement qu’il a subi. Bienné Blémur espère maintenant que ce dénouement heureux servira d’inspiratio­n pour d’autres causes de racisme et de discrimina­tion en milieu de travail, notamment à la Ville de Montréal.

« J’ai été écorché dans cette affaire. Ç’a été pour moi dramatique. Cela a détruit ma situation financière, ma situation profession­nelle. J’ai été obligé de me recycler », explique Bienné Blémur, ému, lors d’une entrevue aux bureaux de la SPJD, jeudi, en compagnie notamment de Véronique Doucet, directrice générale de cette organisati­on paramunici­pale.

Aujourd’hui toutefois, il peut fermer ce chapitre douloureux de sa vie.

Bienné Blémur était employé par la SPJD depuis une quinzaine d’années et occupait la fonction de chef gréeur lorsque, le 25 juillet 2016, sa carrière a basculé. Ce jour-là, il apprend du chef machiniste que, malgré son ancienneté et ses compétence­s, il est rétrogradé à un poste qui consiste essentiell­ement à charger et à décharger des camions.

Même s’il proteste, il décide de se conformer à la directive. Mais la situation dégénère quand il accroche accidentel­lement le casque d’un chef d’équipe avec une perche. Celui-ci l’invective. « Fais attention, crisse de [mot en n] », lui lance-t-il devant une dizaine de technicien­s. Une heure plus tard, Bienné Blémur est renvoyé chez lui sous prétexte qu’il n’y a plus de travail.

Pour Bienné Blémur, cet épisode marque le début d’une longue bataille. Des griefs sont déposés. Il y aura même une entente entre l’employeur et le syndicat reconnaiss­ant le fait qu’il avait été victime de propos racistes, d’isolement et d’exclusion. Sauf qu’à son retour au travail, il constate qu’il devra travailler sous la supervisio­n de l’employé qui a tenu des propos racistes à son endroit. « J’ai décidé que c’était assez », dit M. Blémur, qui a quitté son emploi. Il déposera un grief à l’endroit de son syndicat, l’Alliance internatio­nale des employés de scène et de théâtre (A.I.E.S.T.), section locale 56, pour défaut de représenta­tion.

Les années suivantes sont marquées par de multiples procédures judiciaire­s contre le syndicat et contre la SPJD. En 2021, le Tribunal administra­tif du travail reconnaît que Bienné Blémur a été victime de harcèlemen­t psychologi­que par des collègues de travail et de « négligence grave » de la part de son syndicat, omettant toutefois la notion de discrimina­tion raciale.

Entre-temps, Bienné Blémur a changé de carrière et est devenu préposé aux bénéficiai­res en 2020.

Changement de ton

Une série d’événements viendront changer le climat. En avril 2022, Véronique Doucet entre en poste comme nouvelle directrice générale de la SPJD et, quelques mois plus tard, elle procède à l’embauche de Lisiane Lafortune comme directrice principale des ressources humaines. « Mme Doucet m’a appelé à l’automne et m’a dit : “J’ai pris connaissan­ce de votre dossier. Ce qui vous est arrivé est inacceptab­le. Je ne suis pas responsabl­e de ce qui est arrivé parce que je n’étais pas là, mais je suis responsabl­e de la façon dont ça va se terminer, et je vais m’en occuper” », relate Bienné Blémur.

À partir de ce moment, le ton change, et un dialogue s’engage. Une entente vient finalement d’être conclue entre la SPJD et Bienné Blémur. Cette entente prévoit une indemnité financière — dont le montant demeure confidenti­el —, mais également trois déclaratio­ns de reconnaiss­ance qu’a entérinées le conseil d’administra­tion de la SPJD le 27 avril dernier.

Dans la première, la SPJD reconnaît qu’à l’été 2017, Bienné Blémur était chef gréeur — un fait qui était contesté. La seconde confirme que M. Blémur a été « victime de conduites vexatoires discrimina­toires ayant entraîné des répercussi­ons psychologi­ques négatives ». Et dans la troisième, « la SPJD reconnaît l’existence de racisme et de discrimina­tion systémique ayant induit des comporteme­nts et des traitement­s inéquitabl­es ».

Bienné Blémur se dit « pleinement satisfait » de l’entente. « Pour moi, les reconnaiss­ances, c’était le coeur de l’entente. C’était fondamenta­l », dit-il. « Et elles sont publiques pour rétablir ma réputation, entre autres auprès de mes collègues. »

Bienné Blémur insiste aussi pour souligner la contributi­on active dans son dossier de Bochra Manaï, nommée commissair­e à la lutte contre le racisme et la discrimina­tion systémique­s en janvier 2021.

« Pour moi, c’est infiniment plus satisfaisa­nt d’avoir une entente qu’une décision de tribunal. […] Ça n’aurait pas donné le résultat positif que je vois maintenant. »

J’ai été écorché dans cette affaire. Ç’a été pour moi dramatique. Cela a détruit ma situation financière, ma situation profession­nelle. J’ai été obligé de me recycler.

BIENNÉ BLÉMUR

Passer à l’action

Régler le dossier de M. Blémur est une chose, mais comme bien d’autres organisati­ons, la SPJD a dû revoir en profondeur ses façons de faire afin d’éviter que les actes racistes et discrimina­toires se reproduise­nt. Ainsi, la convention collective avec l’Alliance a été revue pour inclure un encadremen­t clair en matière de gestion de ces questions. Un comité de relations profession­nelles a été mis en place pour régler les plaintes au fur et à mesure. D’ici la fin de l’année, la SPJD entend mettre à jour sa politique en matière de harcèlemen­t.

« Il faut comprendre qu’on partait de loin », avance Véronique Doucet, qui évoque le changement de culture nécessaire. « Jusqu’à cette convention collective, ce n’était pas clair pour les employés qu’on était l’employeur. » Elle croit que le travail effectué à la SPJD pourrait être utile à la Ville de Montréal aux prises avec des dossiers de discrimina­tion.

En mars dernier, une enquête du Devoir relatait les témoignage­s d’une trentaine d’employés de la Ville qui affirmaien­t avoir subi du racisme et de la discrimina­tion sans avoir obtenu justice. Dans les jours suivants, l’administra­tion Plante s’était engagée à implanter d’ici l’été un guichet unique pour gérer les plaintes.

« Peut-être que la route que j’ai suivie va être utile pour d’autres », croit Bienné Blémur. « Malgré toutes les difficulté­s et les antagonism­es, il y a des façons de s’en sortir. Ça prend de la bonne volonté, de la conciliati­on. Il faut sortir de la confrontat­ion et réapprendr­e à faire confiance. À partir de là, tout est possible. »

M. Blémur compte bien retourner travailler au parc Jean-Drapeau, tout en gardant son poste de préposé aux bénéficiai­res à temps partiel, qu’il apprécie.

Le syndicat n’était pas partie prenante de l’entente. Compte tenu des procédures judiciaire­s toujours en cours, il n’a pas voulu faire de commentair­es.

 ?? ADIL BOUKIND LE DEVOIR ?? Bienné Blémur était employé par la Société du parc Jean-Drapeau depuis une quinzaine d’années et occupait la fonction de chef gréeur lorsque, le 25 juillet 2016, sa carrière a basculé. Ce jour-là, il a appris du chef machiniste que, malgré son ancienneté et ses compétence­s, il était rétrogradé à un poste consistant essentiell­ement à charger et à décharger des camions.
ADIL BOUKIND LE DEVOIR Bienné Blémur était employé par la Société du parc Jean-Drapeau depuis une quinzaine d’années et occupait la fonction de chef gréeur lorsque, le 25 juillet 2016, sa carrière a basculé. Ce jour-là, il a appris du chef machiniste que, malgré son ancienneté et ses compétence­s, il était rétrogradé à un poste consistant essentiell­ement à charger et à décharger des camions.

Newspapers in French

Newspapers from Canada