Ce que nous dit le retour au beau fixe avec les Saoudiens
L’auteur est un ancien stratège conservateur. Il a été conseiller politique dans le gouvernement Harper ainsi que dans l’opposition.
Le Canada et l’Arabie saoudite ont annoncé le rétablissement de leurs relations diplomatiques la semaine dernière. Cette nouvelle est passée un peu sous le radar des médias avec le dépôt du premier rapport du rapporteur spécial sur l’ingérence chinoise. Même fortuite, la coïncidence est pourtant parlante.
En août 2018, l’Arabie saoudite avait décrété le gel de ses relations commerciales avec le Canada. En 24 heures à peine, l’ambassadeur en poste à Riyad avait été expulsé, l’ambassadeur saoudien à Ottawa, rappelé au pays. En parallèle, le royaume avait organisé la relocalisation de milliers d’étudiants saoudiens présents au Canada et la suspension de plusieurs partenariats médicaux, privant ainsi le Canada d’une appréciable manne financière.
Le motif ? Une déclaration de Chrystia Freeland, alors ministre des Affaires étrangères, sur son compte Twitter. Elle y appelait à la libération de Raïf et de Samar Badawi. Le lendemain, son ministère réclamait leur libération « immédiate », également sur Twitter. L’Arabie saoudite avait déclaré qu’elle n’accepterait « aucune ingérence dans ses affaires intérieures et sa souveraineté ». Le Canada, par sa réaction, avait fait fi de cette règle. En trois jours, les liens étaient rompus.
Des liens compliqués
Les relations qu’entretient l’Arabie saoudite avec le monde sont complexes. Cette force régionale économique et politique dans le Golfe aspire à jouer un rôle important sur l’échiquier mondial. L’Arabie saoudite souffle le chaud et le froid entre les États-Unis, l’Occident, la Russie et la Chine, et renforce, à chaque occasion, son statut d’incontournable dans la région.
Fait à noter, un rétablissement des liens diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran a également été conclu. En mars, Riyad a annoncé qu’elle se joindrait à l’Organisation de coopération de Shanghai, qui se veut une réponse à l’alliance des services de renseignement du groupe des cinq (États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Canada).
Des entreprises canadiennes, comme Bell ou SNC-Lavalin, ont fait des affaires juteuses dans le royaume. Le gouvernement Harper y a conclu « le plus important contrat à l’exportation dans le secteur manufacturier de pointe de son histoire », en 2014, avec la vente de véhicules blindés à l’Arabie saoudite. Un contrat de 14 milliards de dollars, avec, à la clé, 3000 emplois pour 14 ans.
Ce contrat avait été remporté contre la France et l’Allemagne, deux démocraties qui défendent, comme le Canada, les droits de la personne. Si le Canada s’était abstenu au nom de la défense de ces droits comme le réclamaient certains critiques, ces emplois auraient été créés dans des usines européennes.
Cette entente avait été toute une épine politique au pied des libéraux et du NPD pendant l’élection. L’usine des véhicules blindés était basée au sud de l’Ontario, une région stratégique électorale importante. Justin Trudeau avait qualifié la transaction de vente de « jeeps » pour en minimiser l’aspect militaire. Le NPD avait eu de la difficulté à dénoncer les emplois syndiqués qui avaient la faveur de son allié, UNIFOR.
Une ingérence patente
Dénoncer des abus à l’international est ce qu’on attend d’une démocratie. Le Canada communique souvent ses préoccupations, y compris au régime chinois. La réaction de l’Arabie saoudite avait été jugée largement disproportionnée. Le royaume avait utilisé presque tous les outils de son arsenal pour répudier la déclaration de la ministre Freeland. Aucune gradation diplomatique ou commerciale.
Ces sanctions n’étaient pas un message dirigé uniquement contre le Canada, mais contre tous ceux qui auraient eu envie de s’aventurer dans une diplomatie de microphone semblable. En 2021, la Chine a mis le monde en garde de la même manière en sanctionnant la Lituanie pour avoir autorisé un bureau de représentation de Taïwan à Vilnius.
Le prince Mohammed Ben Salman, le fils du roi, surnommé MBS, a dû batailler fort pour consolider son pouvoir comme prince héritier. La succession vers la troisième génération était alors incertaine entre le fils du roi et ses neveux. MBS a réquisitionné une prison dorée, soit l’hôtel Ritz-Carlton de Riyad, afin d’y séquestrer ses cousins, des princes influents membres de l’élite. C’est pendant cette période qu’a eu lieu l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi et la détention du premier ministre libanais Saad Hariri, forcé à la démission lors d’un déplacement en Arabie saoudite.
La Chine riposte un peu de la même manière en fermant des marchés canadiens d’exportation comme le boeuf, le canola, le porc et d’autres produits agricoles ou de pêcherie. Les mesures sont plus ciblées, liens économiques obligent. Elles sont aussi publiques et donc de façade, mais, comme l’ont révélé les médias, cela n’a pas empêché des sanctions et des opérations en coulisses.
Nos services de renseignement font des écoutes électroniques et des filatures, ils observent le va-et-vient des rencontres à des endroits stratégiques, consignent ces renseignements dans des rapports, qui indiquent que le régime chinois a bel et bien tenté de faire pression sur des députés. D’autres mentionnent des opérations et du financement pour favoriser ou neutraliser des candidats lors de nomination ou d’élections générales, de la désinformation, de l’intimidation subie par des Sino-Canadiens et la présence de postes de police clandestins chinois au pays.
Un juste milieu
Selon le rapport de David Johnston, « les renseignements de nos services entraînent énormément d’incertitude et ne sont pas concluants » si bien qu’il rejette l’idée d’une enquête publique. C’est une réponse ni convaincante ni rassurante pour les Canadiens et leurs alliées.
Faut-il en comprendre, un peu comme l’Arabie saoudite a réagi au message canadien sur les Badawi, qu’il va falloir une communication officielle sur Twitter du régime de Beijing pour avoir une preuve irréfutable d’ingérence ? Le gouvernement Trudeau, en tout cas, ne réagit pas aux mémos, seulement aux informations émanant de la sphère publique.
Au contraire de la Chine et de l’Arabie saoudite, la liberté de presse existe au Canada. Nous pouvons donc compter sur des lanceurs d’alerte, frustrés de ne pas avoir été entendus, pour se confier aux médias. Ce que M. Johnston a par ailleurs vivement critiqué dans son rapport.
Si l’Arabie saoudite avait rompu ses liens éducatifs et médicaux avec le Canada, le gouvernement Trudeau, lui, peine à faire comprendre à nos universités, à nos instituts de recherche et à nos laboratoires qu’il y a des risques pour notre sécurité nationale à nouer des partenariats avec le régime chinois.
Même décalage avec la seule expulsion ordonnée par le gouvernement canadien qui a pris tant de temps à se faire. Je n’admire certainement pas l’Arabie saoudite d’avoir réagi en trois jours. Je ne tente pas non plus d’insinuer que le gouvernement Trudeau aurait dû entreprendre les mêmes actions. Mais entre la réaction exagérée de l’Arabie saoudite et la lenteur du gouvernement Trudeau à réagir aux actions du régime chinois, n’y a-t-il pas un juste milieu ?
Un pays comme le Canada, qui respecte les droits de la personne, n’a-t-il pas le devoir d’agir pour protéger ses citoyens et ses institutions démocratiques lorsqu’elles sont véritablement attaquées ? Il faudra attendre le prochain rapport du rapporteur spécial pour avoir la réponse, en octobre.
Dénoncer des abus à l’international est ce qu’on attend d’une démocratie. Le Canada communique souvent ses préoccupations, y compris au régime chinois.