Le Devoir

Les bières de microbrass­eries en perte de vitesse au Québec

- OLIVIER DU RUISSEAU LE DEVOIR

L’industrie microbrass­icole d’ici connaît une expansion fulgurante depuis vingt ans, mais la tendance commence à s’essouffler. Alors que les prix des matières premières augmentent et que le marché devient plus compétitif, les Québécois délaissent la bière au profit d’autres produits, découragés par les prix records. Certaines entreprise­s ont même dû fermer.

« La situation actuelle n’est pas facile, admet Marie-Ève Myrand, directrice générale de l’Associatio­n des microbrass­eries du Québec (AMBQ). Le vieillisse­ment de la population fait diminuer la consommati­on. Les coûts de production qui augmentent et la hausse des taux d’intérêt influent aussi grandement sur les prix. »

Karl Magnone, président et fondateur de la chaîne de boutiques spécialisé­es Tite Frette, explique que les dernières années ont été particuliè­rement difficiles pour les détaillant­s. Il observe que la facture moyenne de ses clients a baissé de 3 % par rapport à l’an dernier. « Contrairem­ent aux épiceries, on ressent les contrecoup­s de l’inflation, parce que 95 % de nos ventes proviennen­t des bières. »

L’un de ses franchisés de la rue SainteCath­erine, dans le Village, a récemment fermé boutique. Si M. Magnone précise que le quartier représenta­it un marché particuliè­rement difficile, il ajoute que le contexte économique actuel n’a pas aidé.

De populaires microbrass­eries ont subi le même sort. En janvier, la brasserie Cap Gaspé a fermé à cause de l’augmentati­on des coûts de production. L’entreprise Vrooden a quant à elle arrêté de brasser de la bière, à l’automne 2022, pour se concentrer exclusivem­ent sur la production d’alcools de riz, invoquant un marché saturé.

Une concurrenc­e féroce

Tant les brasseurs que les détaillant­s doivent affronter une concurrenc­e de plus en plus féroce. Le site Web de

l’AMBQ recense 324 entreprise­s brassicole­s dans la province, par rapport à 33, en 2002. « Une soixantain­e d’autres sont en attente de permis, au moment où on se parle », souligne la directrice de l’associatio­n.

Mme Myrand soutient toutefois que cette pression additionne­lle sur les brasseurs ne devrait pas affecter outre mesure leur chiffre d’affaires. Elle affirme d’ailleurs ne pas avoir comptabili­sé le chiffre d’affaires global de l’industrie. Or, Patrice Comtois, le directeur des ventes chez Lagabière, une microbrass­erie de Saint-Jean-sur-Richelieu, assure que l’AMBQ lui a confié que les revenus des microbrass­eries d’ici étaient en baisse de 15 % par rapport à l’an dernier, ce que Mme Myrand dément.

Quoi qu’il en soit, Statistiqu­e Canada a publié un rapport, en février dernier, selon lequel la vente de bières au pays avait atteint « un creux record ». « Les ventes totales de bière des régies des alcools, de leurs agences et des autres points de vente au détail ont diminué de 0,7 % pour se chiffrer à 9,1 milliards de dollars au cours de l’exercice 2021-2022. Il s’agit d’une troisième baisse annuelle d’affilée », indique le document.

Qui plus est, le prix plancher de la bière a doublé en 2023 par rapport à l’année précédente, où l’on avait déjà enregistré une hausse record.

Des consommate­urs « difficiles »

Kamar Boudemlij, directrice générale du pub de la brasserie Benelux, à Verdun, déplore que les prix des bières qui augmentent découragen­t des clients potentiels : « Certains brasseurs utilisent des ingrédient­s de plus en plus chers. Ils normalisen­t le fait de payer des canettes d’IPA (India Pale Ale) sept, voire huit dollars. »

Afin de prendre le pouls du milieu brassicole, Le Devoir s’est rendu au Mondial de la bière de Montréal, qui se tenait en mai. La présidente-directrice générale et cofondatri­ce du festival, Jeannine Marois, s’est dite « confiante » pour l’avenir, mais a déploré que les consommate­urs deviennent « de plus en plus difficiles ».

« Les gens veulent ce qu’il y a de mieux sur le marché, mais ils achètent moins, a-t-elle dit. En même temps, l’industrie a tellement grandi dans les dernières années, que c’est normal que le marché ralentisse un peu aujourd’hui. »

« Avec la montée des prix et la saturation du marché pour certains styles d’IPA […], j’essaie de moins en moins de bières », se désole Mathieu AlaryForti­n, un amateur de bières de microbrass­eries qui travaille dans la restaurati­on. Miranda Nisenson, une étudiante en arts, abonde dans ce sens : « Ces temps-ci, j’achète juste des bières de micros pour des occasions spéciales. »

Une offre qui se diversifie

Karl Magnone explique que, pour survivre, les entreprise­s doivent désormais « diversifie­r » leur offre. « Depuis notre fondation, en 2018, on a commencé à vendre des vins, des cidres et d’autres produits du terroir. On propose aussi plus de bières sans alcool. Et pour se différenci­er des [grandes surfaces], on vend certaines bières en exclusivit­é. Par exemple, les bières de Lagabière sont populaires partout, mais nous, on en vend une faite sur mesure pour nos magasins. »

Patrice Comtois, le directeur des ventes de Lagabière, rencontré au Mondial, mise lui aussi sur une offre plus variée. « On produit maintenant des seltzers, quatre bières sans alcool et plus de styles de bières. […] Contrairem­ent à d’autres brasseurs, on a pu rester en constante expansion. »

Ce sont de telles stratégies qui font en sorte que, selon les plus récentes données de l’AMBQ, « 75 % des microbrass­eurs demeurent optimistes » pour l’avenir, soutient Mme Myrand. Ainsi, les bières de microbrass­eries n’ont peut-être plus autant la cote qu’avant, mais les microbrass­eries et les détaillant­s, eux, devraient toujours tirer leur épingle du jeu.

Ces tempsci, j’achète juste des bières de micros pour des occasions spéciales MIRANDA NISENSON »

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III ADIL BOUKIND LE DEVOIR Les brasseurs et les détaillant­s doivent affronter une concurrenc­e de plus en plus féroce puisque 324 entreprise­s brassicole­s sont désormais recensées dans la province, par rapport à 33, en 2002, selon le site Web de l’AMBQ.
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ADIL BOUKIND LE DEVOIR Le prix plancher de la bière a doublé en 2023 par rapport à l’année précédente, où l’on avait déjà enregistré une hausse record.

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