Les jeunes sont-ils protégés face à la violence sexuelle en ligne ?
Le Québec, tout comme le reste du Canada, est à la traîne pour prévenir et protéger les enfants des violences sexuelles en ligne, dont la forme évolue aussi vite que les technologies. Peu de données permettent de quantifier ce phénomène de cyberviolences chez les adolescents, pourtant qualifié de « fléau ».
Les chercheurs Christopher Dietzel, de l’Université McGill, et Kaitlynn Mendes, de l’Université Western, tentent de dresser pour la première fois au Canada un portrait de ces violences dont sont victimes les jeunes de 13 à 18 ans. Dans leur étude, encore au stade préliminaire, ils ont passé en revue des politiques éducatives et des programmes scolaires de niveau secondaire à travers le pays. Leur constat : les législations en matière de cyberintimidation sont obsolètes.
Le terme de « cyberintimidation » — que l’on trouve dans les lois de douze provinces et territoires, dont le Québec — est même dépassé, affirme Christopher Dietzel. Un mot fourretout qui, selon lui, masque l’étendue et la gravité des violences que peut subir un jeune.
« La “cyberintimidation” est un terme né il y a vingt ans. Depuis, les technologies ont évolué, et on ne parle pas seulement d’intimidation, mais aussi de harcèlement et d’autres comportements préjudiciables. »
Il cite, entre autres exemples, le cyberexhibitionnisme (comme les « dick pic »), la divulgation malveillante d’informations personnelles (doxing) ou l’hypertrucage vidéo (deepfake). Toutes ces violences peuvent avoir lieu sur différentes plateformes comme les messageries, les réseaux sociaux, les cellulaires…
Avec les nouvelles technologies, les tribunaux font face à des cas inédits de cyberviolences. Récemment, un homme de Sherbrooke a été condamné à huit ans de prison après avoir fabriqué, à l’aide de l’hypertrucage, des milliers de contenus pédopornographiques à partir de photos banales d’enfants trouvées sur les réseaux sociaux.
Pour illustrer l’ampleur du phénomène et insister sur le fait que cette violence se prolonge hors du virtuel, les chercheurs Dietzel et Mendes plaident pour l’utilisation du terme de violence sexuelle facilitée par la technologie (VSFT), aussi bien dans les politiques provinciales que dans les programmes scolaires.
Difficiles à cerner
Au-delà d’un changement de langage, Christopher Dietzel tient à rappeler que l’usage de la technologie dans un contexte de violence sexuelle peut masquer la présence d’actes criminels ou illégaux.
« On peut se demander si les adultes et les jeunes savent ce qui est grave, ce qui est criminel dans tout ça et vers qui ils peuvent se tourner pour trouver de l’aide. C’est assez complexe », souligne Karine Baril, professeure au Département de psychoéducation et de psychologie de l’Université du Québec en Outaouais.
La prévention auprès des adolescents est aussi compliquée du fait de l’évolution rapide des technologies. « Ça va vite, il faut adapter les contenus. Je travaille dans le domaine des violences sexuelles, et j’ai un peu de difficulté à être à jour », admet la professeure, qui s’est déjà penchée sur la prévention des agressions sexuelles dans le milieu universitaire.
Et pourtant, la tranche d’âge des 13-18 ans constitue aujourd’hui « un cocktail favorable » à cette violence en ligne. « Les jeunes ont une consommation très grande de technologie et ils sont dans la période adolescente où, particulièrement au niveau sexuel, il y a une recherche identitaire, de l’expérimentation et un grand besoin de faire partie d’un groupe », explique Mme Baril.
Manque de données
Mais combien de jeunes Canadiens subissent des cyberviolences ? Il existe peu de données sur le sujet, selon Christopher Dietzel. « Les chiffres qu’on a viennent souvent d’autres pays, comme le Royaume-Uni, les États-Unis ou l’Australie. »
Cyberaide, un programme canadien qui reçoit les signalements d’exploitations sexuelles d’enfants sur Internet, a toutefois relevé l’an dernier une augmentation de 36 % des violences faites aux enfants.
À l’échelle québécoise, les statistiques spécifiques manquent aussi, confirme Karine Baril, qui souligne par la même occasion le travail de la Fondation Marie-Vincent et sa chaire de recherche.
En 2021, le groupe interuniversitaire spécialisé sur la violence sexuelle chez les enfants a interrogé 850 élèves du secondaire au Québec. Près de 1 adolescent sur 5 rapportait avoir déjà reçu une image intime qui circulait sans la permission de la personne, et environ 36 % des adolescentes disaient s’être déjà fait demander une photo d’elles nues ou à caractère sexuel. La Fondation qualifie la cyberviolence de « fléau qui ne cesse de prendre de l’ampleur au Québec ».
Même si l’on quantifie mal l’étendue du phénomène, les conséquences psychologiques peuvent s’avérer bien réelles pour ces jeunes victimes. Si une personne voit ses photos intimes circuler contre son gré, elle peut ressentir de l’humiliation, de la culpabilité, avoir des idées suicidaires ou des symptômes dépressifs, que l’on trouve chez plusieurs victimes d’agressions sexuelles, détaille Karine Baril.
Pour sonder les préoccupations et les besoins des adolescents, les chercheurs Dietzel et Mendes poursuivront cet été leur étude par des entrevues avec 200 jeunes partout au Canada. Ils présentent d’ailleurs leurs résultats préliminaires au Congrès des sciences humaines qui se déroule cette semaine à Toronto. « Notre objectif, c’est de bâtir des politiques, des programmes scolaires et des ressources qui leur sont adaptés afin qu’ils grandissent en sécurité », explique Christopher Dietzel.
Karine Baril déplore quant à elle la « difficile » mise en place du nouveau programme d’éducation à la sexualité, qui contient la prévention des abus, aux niveaux primaires et secondaires québécois. La spécialiste en psychoéducation plaide pour qu’une formation sur les cyberviolences s’adresse autant aux jeunes qu’à « tous les adultes qui interviennent auprès d’eux parce qu’ils ont un rôle à jouer ».