Le Devoir

Michel Côté, inoubliabl­e

Le comédien, un des plus aimés du Québec, s’est éteint lundi à 72 ans

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Avec le décès de Michel Côté à l’âge de 72 ans, le Québec perd l’un de ses acteurs les plus aimés. Au printemps 2022, il avait annoncé son retrait de la vie publique pour cause de maladie de la moelle osseuse. Doué autant pour le drame que pour la comédie, Michel Côté a laissé sa marque au cinéma, dans C.R.A.Z.Y., à la télévision, dans Omertà, et sur scène, dans Broue, entre autres titres mémorables d’une feuille de route qui en contient beaucoup.

Peu d’interprète­s peuvent se targuer d’avoir collection­né autant de succès sur une aussi longue période, soit cinq décennies. Peut-être cette fidélité du public découlait-elle en partie du fait que l’on sentait l’homme foncièreme­nt sympathiqu­e. Quiconque l’a interviewé le confirmera : en entrevue, il aimait faire rire ; il n’était jamais compliqué, jamais « formaté ».

Né en 1950 à Alma, dans la région alors connue sous le nom de Lac-Saint-Jean, Michel Côté ne se destine pas à une carrière d’acteur. Au contraire, malgré ses origines modestes, il peut s’inscrire au cours classique, seul moyen d’accéder aux profession­s dites « libérales ». À l’époque, il s’adonne au théâtre en amateur.

Or, le goût des planches finit par l’emporter, et il entre à l’École nationale de théâtre. Durant ses années de formation, on lui confie souvent les rôles de père et de vieillard, ce qu’il impute à sa voix, qu’il trouve inhabituel­le.

Parmi ses premiers faits d’armes au petit écran, on mentionner­a la comédie de situation Du tac au tac (19761982), dans laquelle il rencontre sa future conjointe, la comédienne Véronique Le Flaguais.

Son premier vrai rôle principal, il se le crée lui-même, en 1979, dans Broue (écrite par Claude Meunier, JeanPierre Plante, Francine Ruel et Louis Saia), où il donne la réplique à ses amis Marc Messier et Marcel Gauthier. Campée dans une taverne québécoise juste avant que les femmes y soient admises, la pièce connaît un succès aussi phénoménal que durable. Quelque 3322 représenta­tions et un record Guinness de longévité plus tard, les trois acteurs et auteurs tirent leur révérence en 2017, après 38 ans.

Sa carrière cinématogr­aphique, elle, débuta un peu par hasard, après que Guy L’Écuyer (La vie heureuse de Léopold Z), avec qui il jouait au théâtre, lui eut suggéré de contacter le cinéaste André Forcier, qui préparait alors un nouveau film. En entrevue à Éléphant : mémoire du cinéma québécois, Michel Côté confie en 2020 à ce propos : « Je ne connaissai­s pas Forcier. On est allés à la taverne, on a pris une brosse, pis ç’a été mon audition. »

Sorti en 1983, Au clair de la lune, dans lequel Michel Côté incarne un albinos noctambule, est l’un des films les plus singuliers et poétiques du cinéaste. Dans le même entretien, l’acteur poursuit : « C’est un film que j’adore […] Forcier, c’est notre Fellini à nous. »

Cinéaste et acteur se retrouvero­nt des années plus tard sur le tout aussi fantaisist­e Le vent du Wyoming, en 1994. Dans l’intervalle, Michel Côté connaît l’un de ses plus gros succès au cinéma : Cruising Bar, de Robert Ménard, paru en 1989. Malgré certains éléments datés, cette farce satirique donne à voir une leçon de jeu de la part du comédien, qui compose quatre hommes contrastés.

À la collègue Odile Tremblay, il précise lors de la sortie de la suite, en 2008 : « Quand on a écrit Broue, on croyait aborder la fin d’une époque machiste… Erreur ! On voulait donner un coup de fouet à la gent masculine dans les deux Cruising Bar aussi. Mes personnage­s sont des archétypes. »

En 1989 également, Michel Côté est l’une des têtes d’affiche du long métrage Dans le ventre du dragon, une science-fiction mâtinée d’humour concoctée par Yves Simoneau. En 1995, le film à suspense Liste noire, d’un nouveau venu du nom de JeanMarc Vallée, marche très fort et permet à l’acteur, qui passe du rôle de gentil à celui de méchant en cours d’intrigue, de rappeler à quel point le registre dramatique lui sied bien.

Puis, c’est le triomphe au petit écran, où, dans la série Omertà, de Luc Dionne, il épate entre 1996 et 1999 dans le rôle de l’enquêteur Gauthier, casseur de mafieux.

Lorsqu’il revient au cinéma, le public le suit, tant dans le film d’horreur Sur le seuil (2003), d’Éric Tessier, d’après le roman de Patrick Senécal, que dans la production à suspense Le dernier tunnel (2004), d’Érik Canuel, sur la vie du criminel Marcel Talon.

Le triomphe C.R.A.Z.Y.

Jouissant déjà, et depuis longtemps, d’une énorme popularité, Michel Côté accroît encore sa cote d’amour en 2005 lorsque, sous la direction du complice d’hier Jean-Marc Vallée, il triomphe dans C.R.A.Z.Y. Chronique familiale traitant notamment de la relation houleuse entre un père conservate­ur et son fils gai dans le Québec des années 1970, C.R.A.Z.Y. amasse plus de cinq millions de dollars en salle. Quant à Michel Côté, il reçoit le prix d’interpréta­tion aux Iris (alors Jutra) et aux Écrans canadiens (alors Génie).

Vu combien il a joué les pères au temps où il aurait préféré se voir confier des rôles de jeunes premiers, c’est une belle ironie que cette émouvante partition de patriarche macho qui s’adoucit sur le tard s’avère sa compositio­n la plus inoubliabl­e. Au fond, il avait commencé à répéter très tôt.

En 2009, De père en flic, où il incarne un tout autre genre de père, mais qui donne lui aussi du fil à retordre à sa progénitur­e (défendue par LouisJosé Houde), fait à son tour exploser le box-office. Le film aura droit à une suite. Paru en 2010, Piché entre ciel et terre, basé sur la vie et les exploits du commandant Piché, vaut un autre succès, et d’autres prix, à Michel Côté. Dans le film, son fils Maxime Le Flaguais l’incarne plus jeune.

En 2017, Québec cinéma salue l’ensemble de sa carrière. Dans l’entrevue réalisée par Éléphant, il conclut : « J’me suis fait plaisir. J’ai toujours défendu mes personnage­s. J’aime mes personnage­s. »

Nous aussi. Pour qualifier sa longue et fructueuse carrière, citons Michel Côté lui-même, ou enfin, l’un de ses personnage­s dans Broue : « C’est très impression­nant. C’est de toute beauté. »

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FRANCOIS PESANT ARCHIVES LE DEVOIR Michel Côté lors de la 15e soirée des prix Jutra, en mars 2013, où il a reçu le prix Jutra-Hommage pour l’ensemble de sa carrière
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Michel Côté dans le rôle du père Gervais Beaulieu, dans C.R.A.Z.Y. (2005), de JeanMarc Vallée. Côté a reçu le prix d’interpréta­tion aux Iris (alors Jutra) et aux Écrans canadiens (alors Génie) pour ce film.
TVA FILMS 1 Michel Côté dans le rôle du père Gervais Beaulieu, dans C.R.A.Z.Y. (2005), de JeanMarc Vallée. Côté a reçu le prix d’interpréta­tion aux Iris (alors Jutra) et aux Écrans canadiens (alors Génie) pour ce film.
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Louis-Josée Houde et Michel Côté dans le film De père en flic 2,
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2 Louis-Josée Houde et Michel Côté dans le film De père en flic 2, d’Émile Gaudreault FILMS SÉVILLE
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Marc Messier, Marcel Gauthier et Michel Côté lors de la 170e représenta­tion de Broue, en octobre 1992
COMMUNICAT­IONS PAPINEAU-COUTURE 3 Marc Messier, Marcel Gauthier et Michel Côté lors de la 170e représenta­tion de Broue, en octobre 1992

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