Le Devoir

L’audace en créativité numérique est transgénér­ationnelle

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Véronique Marino et Françoise Poos La première est cofondatri­ce de l’agence LaCogency ; la seconde est directrice des programmes culturels – Esch2022. Elles ont assuré cette année la coprésiden­ce du jury des prix NUMIX, qui récompense­nt, depuis 2010, l’excellence des contenus numériques du Québec, une reconnaiss­ance attribuée par les pairs.

Cran, vision, passion. Voilà ce qui anime nos créateurs numériques, et toute une industrie en constante ébullition. Ceux-ci sont indéniable­ment parvenus à un niveau d’excellence quant à la technique — mais ce qui doit véritablem­ent retenir l’attention est l’excellence et l’audace dont nos créateurs font montre dans le propos. Et la pertinence des questionne­ments qu’ils soulèvent.

S’ils en sont arrivés là, c’est que d’autres ont ouvert la voie. L’industrie de la créativité numérique se réunira le 31 mai à l’Espace St-Denis pour le gala des prix NUMIX, événement annuel récompensa­nt l’excellence des contenus numériques du Québec, en plus de comporter un volet internatio­nal. Un prix hommage y sera remis à Monique Simard, dont la contributi­on au développem­ent des différents secteurs qui composent l’industrie québécoise de la créativité numérique est exceptionn­elle.

Monique Simard est de celles et ceux qui ont tracé le chemin. Lors de ses passages successifs à l’Office national du film du Canada (ONF) puis à la Société de développem­ent des entreprise­s culturelle­s (SODEC), elle a été l’une des premières à offrir à ces institutio­ns culturelle­s un virage numérique. Elle a choisi de lutter contre l’inertie et de sauter à pieds joints dans un territoire qui lui était alors inconnu. Nous voulons saluer son cran, sa vision et sa passion.

Les artistes lauréats de cette année en sont les dignes héritiers. Les projets qu’ils nous ont offerts lors de la dernière année présentent un discours contempora­in fort. Une cuvée qui se résume dans ce judicieux mélange d’affirmatio­n et de maîtrise — d’authentici­té et d’ouverture à l’autre. Des créations qui nous ramènent sur le territoire des émotions, de l’empathie et de la réflexion tout en témoignant de la société dans laquelle on se trouve et des débats qui la façonnent au quotidien.

L’audace dont il est ici question n’est pas technologi­que. L’audace est un propos.

Les technologi­es numériques se sont fondues dans la palette des moyens d’expression artistique disponible­s aux créateurs pour donner à vivre leur lecture du monde, ce monde qui est aussi le nôtre. Les outils d’aujourd’hui permettent aux artistes et aux artisans de la créativité de revenir à une véritable expression du soi. Ils portent, voire créent, une diversité, une identité culturelle qui a la merveilleu­se capacité de se disséminer au-delà de toutes les frontières.

Les créateurs numériques nous offrent de nouveaux territoire­s où nous rassembler et des occasions de nous transforme­r. Ils sont défricheur­s, éveilleurs de conscience et empêcheurs de tourner en rond. En acceptant de s’ouvrir, de s’ancrer dans l’émotion et de s’exposer à d’autres cultures ainsi qu’à d’autres points de vue, on se donne tous une formidable occasion de grandir en tant qu’être humain.

Seules l’audace et l’authentici­té permettent d’ouvrir toutes ces brèches.

Oser la relève

On ne peut songer à l’avenir de la créativité numérique sans que viennent à l’esprit les plus récents développem­ents en matière d’intelligen­ce artificiel­le (IA) : l’IA générative. Elle a mis le feu. On a vu apparaître un nouveau continent, accentuant la pression sur les créateurs, qui, en plus de rivaliser avec le monde, doivent maintenant le faire avec des machines qui ont digéré des milliards de créations. C’est une accélérati­on de l’émergence de l’économie des créateurs ouverte par les plateforme­s basées sur la génération de contenus.

Virage ou dérapage ? On ne le sait pas encore, disons simplement ceci. L’IA est un outil, comme toutes les technologi­es, qu’il faudra apprendre à utiliser de manière pertinente.

Mais évitons les amalgames lorsqu’il est question de créativité numérique, et ayons confiance. Tout cela soulève bien sûr d’importante­s réflexions, notamment en ce qui concerne la propriété intellectu­elle et les enjeux liés à l’hypertruca­ge (deepfake), mais l’IA générative nécessite (encore) une interventi­on humaine pour apprendre et créer. C’est l’alliance entre l’expression générée par l’IA et l’empreinte unique de l’artiste qui ouvre de nouvelles perspectiv­es.

Lorsqu’on peut le meilleur comme le pire, misons sur le meilleur. L’audace est un espoir.

Il faut continuer de former la nouvelle génération de créateurs numériques, de les accueillir dans notre industrie et d’ouvrir la voie à de nouvelles voix. Il faut participer à ce qu’une génération de créateurs puisse utiliser ces outils comme manière contempora­ine d’expression.

Comme d’autres avant nous. Monique, par exemple, pour ne pas la nommer. L’audace n’a pas d’âge. L’audace, c’est aujourd’hui de faire de la place. L’audace est transgénér­ationnelle.

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