Le Devoir

Droits de la personne et transition écologique doivent aller de pair

- Laurence Guénette et Frédéric Legault La première est coordonnat­rice de la Ligue des droits et libertés ; le second est sociologue, enseignant et coauteur de Pour une écologie du 99 %.

Nous ne sommes pas égaux face à la crise écologique et ne subissons pas au même degré les violations de droits de la personne qu’elle engendre. La démocratie devra jouer un rôle de premier plan dans la nécessaire transition écologique qui est sur toutes les lèvres actuelleme­nt. Puisque ce sont les classes populaires et les groupes marginalis­és qui ont le plus à perdre, ces groupes doivent participer aux grandes décisions qui structurer­ont la réorganisa­tion de notre économie à la lumière des grands défis écologique­s que traverse notre époque. Pour atténuer les effets de la catastroph­e climatique et assurer le respect des droits de la personne, il est impératif de démocratis­er notre système économique.

Pour la Ligue des droits et libertés, maintenant forte de 60 ans de luttes, les droits de la personne doivent être au coeur des réflexions sur la transition. Tant les impacts de la crise écologique que les mesures d’adaptation et d’atténuatio­n envisagées doivent être examinés à la lumière des droits de la personne. Ce cadre d’analyse désindivid­ualise et acquiert une portée plus collective, qui se conforme à l’exigence de l’interdicti­on des discrimina­tions, devenues systémique­s, à l’heure de la transition écologique. Le droit à un environnem­ent sain participe aussi à nous rappeler l’urgence de la démocratie, en soulignant que certains droits sont des conditions sine qua non à la pleine réalisatio­n de ce droit : l’accès à l’informatio­n, la participat­ion du public et l’accès à la justice.

Cette exigence de démocratie est d’autant plus nécessaire que ces crises menacent un ensemble de droits, du droit à la vie, à la sécurité, à la santé, en passant par le droit au logement ou au travail : on parle ici de l’interdépen­dance des droits de la personne. À son tour, la préservati­on des écosystème­s est mise en péril par les violations du droit de manifester ou du droit à l’informatio­n ! L’universali­té des droits de la personne invite aussi à tenir compte des impacts exacerbés de la crise écologique sur certaines population­s marginalis­ées, les personnes en situation de handicap, les personnes racisées, les peuples autochtone­s et population­s appauvries du Sud global, victimes du colonialis­me et de l’extractivi­sme, etc.

Que supposent les droits de la personne quant au système économique en place ? Puisque les principale­s décisions y sont prises par et pour les intérêts d’une élite restreinte, un système hiérarchiq­ue comme le capitalism­e est intrinsèqu­ement enclin à défendre les intérêts des élites à qui il bénéficie. Il n’est pas conçu pour respecter et assurer la mise en oeuvre des droits de la personne ni n’a cela pour objectif ! Et lorsque les population­s et les groupes marginalis­és sont néanmoins entendus et pris en compte, c’est au prix de longues luttes très exigeantes.

Comme le capitalism­e est un système basé sur la propriété privée, les entreprise­s sont en compétitio­n entre elles. La propriété privée des moyens de production entraîne une concurrenc­e entre les entreprise­s, qui cherchent à maximiser leurs profits et à croître pour mieux défendre leurs intérêts. On se doit de mettre en place un système dans lequel les entreprise­s ne seraient pas poussées à maximiser leurs profits, et de rapidement remplacer les dynamiques de concurrenc­e et de croissance par des dynamiques de collaborat­ion que permet un régime de propriété collective.

En plus d’être inéquitabl­ement répartie, la croissance économique a une dimension irréductib­lement matérielle : davantage de voitures, de gratteciel, d’appareils électroniq­ues, etc. Comme les ressources sont intrinsèqu­ement limitées, toute forme de croissance dite verte est forcément une équation insoluble. Ne nous laissons pas berner : la transition ne peut pas se réduire à une transition technique au sein d’un système capitalist­e, visant à basculer des énergies fossiles vers des sources d’énergie dites renouvelab­les.

La transition ne peut consister en un simple changement d’huile. Une réorganisa­tion en profondeur de nos sociétés s’impose afin de satisfaire les besoins et respecter les droits de toutes et tous dans le respect des limites planétaire­s.

C’est là un puissant argument en faveur d’une démocratis­ation de l’économie, qui doit aller de pair avec la transition écologique. Combattre la crise écologique et l’immobilism­e des élites implique de lutter pour davantage de réelle participat­ion démocratiq­ue, y compris en matière économique. Plusieurs pensent ainsi que la planificat­ion démocratiq­ue de l’économie est la meilleure façon d’alléger la pression de l’activité humaine sur les écosystème­s. Une transition non démocratiq­ue risque de se traduire par un maintien des rapports de pouvoir préexistan­ts et conséquemm­ent au maintien de bilans catastroph­iques en matière de droits de la personne et d’écologie.

Dans les années à venir, les mouvements sociaux devront demeurer à l’affût pour préserver les espaces de participat­ion démocratiq­ue qui existent et lutter pour les élargir. L’urgence climatique ne doit surtout pas servir de prétexte à des reculs démocratiq­ues ou la suspension de certains droits et libertés, alors que la démocratie est plus nécessaire que jamais pour défendre les droits de la personne.

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