Le Devoir

Le parti de la division

- JEAN-FRANÇOIS LISÉE Père, chroniqueu­r et auteur, Jean-François Lisée a dirigé le PQ de 2016 à 2018. | jflisee@ledevoir.com / blogue : jflisee.org

J’avoue avoir hésité avant d’écrire cette chronique. Il me semble inconvenan­t de tirer sur des ambulances. Les libéraux québécois sont aujourd’hui dans un tel état de faiblesse que mon premier mouvement est l’empathie, ayant dirigé le Parti québécois (PQ) à une époque où on nous décrivait non pas comme une ambulance, mais comme un corbillard.

Je suis content qu’André Pratte codirige le comité de relance du Parti libéral du Québec (PLQ) avec la députée Madwa-Nika Cadet (qui était candidate libérale contre moi dans Rosemont, en 2012). Pratte est certaineme­nt la tête pensante fédéralist­e la plus solide au Québec. Si quelqu’un peut trouver une assise intellectu­elle distinctiv­e sur laquelle un futur chef et une future campagne pourraient s’appuyer, c’est bien lui.

Si cette assise existe. Ce qui, dans l’univers politique actuel, n’est pas certain.

Curieux de voir dans quelle direction la réflexion se portait, j’ai pris connaissan­ce de son discours prononcé au conseil général du PLQ. Il a abordé la question épineuse de la dose de nationalis­me que les libéraux devraient afficher. « Certains, à l’intérieur comme à l’extérieur du parti, estiment que nous ne sommes pas assez nationalis­tes », a-t-il admis, dans un élan de lucidité (il a été jadis membre du groupe Pour un Québec lucide, soit dit en passant). Son comité sera attentif aux opinions diverses à ce sujet. Bien. Puis il a déclaré : « Une chose est sûre, cependant, notre histoire ne laisse aucun doute sur le fait que les libéraux ont joué un rôle crucial dans l’édificatio­n du Québec moderne. » Voilà qui est indubitabl­e.

Mais de quel bois, exactement, en 2023 — ou demain, à l’élection de 2026 — se chauffera le nationalis­me libéral québécois ? C’est trop tôt pour le dire. Mais nous avons eu droit à cette balise : « Nous sommes de fiers nationalis­tes québécois, mais notre nationalis­me se veut rassembleu­r, inclusif. Nous rejetons le nationalis­me qui divise les Québécois entre eux, parce qu’on ne bâtit pas une nation forte sur la division. »

Là, j’ai tiqué. Je me suis demandé à quel moment, exactement, le nationalis­me libéral n’avait pas divisé les Québécois. À l’élection de 1962, portant sur la nationalis­ation de l’électricit­é, le plus grand geste de nationalis­me économique de notre histoire ? Jean Lesage, René Lévesque et son équipe du tonnerre n’ont pas réussi à convaincre plus de 57 % des Québécois de voter pour eux. Ils ont été traités de communiste­s pour vouloir ainsi fouler aux pieds l’entreprise privée et endetter le Québec pour des génération­s. Est-ce lorsque Robert Bourassa a fait adopter une loi affirmant que le français était notre langue officielle, une étape cruciale de nationalis­me identitair­e ? Pas moins de deux Québécois sur trois lui ont montré la porte à l’élection qui a suivi, tellement cette propositio­n les divisait.

Peut-être le PLQ a-t-il mieux exprimé son nationalis­me rassembleu­r lorsqu’il était dans l’opposition. En s’opposant par exemple à la loi 101 d’origine, pourtant plébiscité­e par les Québécois ? L’alors député libéral Daniel Johnson ne déclarait-il pas que le PQ de René Lévesque voulait faire du Québec « une Albanie en ceinture fléchée » ? (Ce n’était pas un compliment.)

La vérité toute nue est qu’aucun geste fort de promotion de la nation québécoise n’est, à l’origine, rassembleu­r. Chaque avancée fut un combat contre les forces du statu quo, le PLQ actionnant tantôt l’accélérate­ur avec Lesage, tantôt le frein avec Couillard, tantôt l’accélérate­ur et le frein en même temps avec Bourassa.

C’est vrai pour presque tout progrès. On doit remercier Adélard Godbout d’avoir donné le droit de vote aux femmes, une propositio­n qui divisait profondéme­nt la province, heurtait le clergé et beaucoup d’hommes blancs médiocres, selon une expression qui, à l’époque, n’était pas en vogue.

En fait, cette rhétorique de la division est un énorme sophisme. Il n’y a de progrès que dans le combat contre un adversaire : il faut gagner, rarement par knock-out, le plus souvent aux points. En démocratie, le rassemblem­ent est l’exception et non la norme. Sur de grands sujets sociaux — soins de fin de vie, violence conjugale, équité salariale —, nous avons su nous rassembler. D’autres — l’avortement, le mariage pour tous — furent arrachés de haute lutte. Nos gains nationalis­tes, linguistiq­ues, identitair­es, laïques, furent tous de cette dernière catégorie.

Vrai, il y a des cas où l’approche, le ton, la rhétorique peuvent chercher ou susciter la division là où elle n’a pas lieu d’être. Le meilleur cas récent étant la décision de Justin Trudeau de mener campagne en 2021 pour la vaccinatio­n obligatoir­e des fonctionna­ires fédéraux et des voyageurs dans le seul but de coincer les conservate­urs dont la position était plus, disons, « libérale ». Le député Joël Lightbound a eu le courage de dénoncer cette dérive.

Il y a bien un moment, un seul, où le nationalis­me libéral fut véritablem­ent rassembleu­r. Après Meech, quand Robert Bourassa et son parti se sont formelleme­nt engagés à donner une dernière chance au Canada d’accorder des pouvoirs substantie­ls au Québec, sans quoi ils proposerai­ent la souveraine­té, s’est ouverte une période de grâce où plus des deux tiers des Québécois étaient enfin unis dans une démarche commune sur leur avenir national. Dommage que ce n’ait été qu’une tricherie débouchant sur un naufrage. Il faudrait écrire un livre sur le sujet. Peut-être deux.

À moins qu’André Pratte et le PLQ veuillent retenter cette expérience, je leur propose de laisser aux partis uniques et autres dictatures l’illusion de l’unanimisme et d’assumer plutôt que la division est une condition intrinsèqu­e de l’exercice démocratiq­ue, les partis étant des avocats plaidant leurs causes contradict­oires devant un jury qui décide, à la majorité, qui a raison et qui a tort. Et c’est très bien ainsi.

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