Le Devoir

Le droit d’apprendre le français

- ROBERT DUTRISAC

Le gouverneme­nt Legault vient d’annoncer la mise sur pied de Francisati­on Québec à compter du 1er juin, comme le prévoit la loi 96 — la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. Il s’agit d’un guichet unique réunissant tous les services de francisati­on, services qui sont appelés à se diversifie­r. En vertu de cette même loi, ce ne sont plus seulement les immigrants arrivés depuis cinq ans ou moins qui ont droit à des cours de français gratuits, mais toute personne domiciliée au Québec, que ce soient les Canadiens anglais unilingues ou les travailleu­rs étrangers temporaire­s, dont on sait qu’une proportion importante ne parle pas français. Exception est évidemment faite pour les enfants d’âge scolaire, qui, eux, sont pris en charge par l’école.

Une attention particuliè­re sera apportée aux formations offertes dans les milieux de travail, parent pauvre de l’offre de francisati­on. En outre, on a prévu des activités d’initiation à la langue française pour les enfants d’âge préscolair­e.

Depuis le rapport dévastateu­r de la vérificatr­ice générale du Québec, Guylaine Leclerc, en 2017, sur le programme de francisati­on du ministère de l’Immigratio­n sous les libéraux, le gouverneme­nt Legault a haussé substantie­llement les sommes affectées à cette mission. Ainsi, le budget des services de francisati­on est passé de 94 millions à l’arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec à 218 millions. En 20232024, l’augmentati­on a été de 17 % par rapport à l’année précédente.

Lors d’une conférence de presse lundi, la ministre de l’Immigratio­n, de la Francisati­on et de l’Intégratio­n, Christine Fréchette, qui était accompagné­e du ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, a signalé que la francisati­on connaissai­t un « engouement ». Ainsi, le nombre de personnes inscrites à un cours pour apprendre le français a augmenté de 16 % en 2021-2022, et d’un autre 25 % l’an dernier, pour atteindre 47 000. Ce sont les cours à temps partiel qui ont la cote. La rareté des enseignant­s, que cet « engouement » ne manquera pas d’exacerber, ne semble pas inquiéter la ministre.

En 2017, la vérificatr­ice générale avait constaté que moins du tiers des nouveaux arrivants qui ne connaissai­ent pas le français s’inscrivaie­nt à des cours de francisati­on, et que les taux d’échec ou d’abandon étaient catastroph­iques. Elle relevait un manque d’uniformité entre les formations fournies par les professeur­s du ministère dans des locaux de groupes communauta­ires, celles prodiguées par le réseau scolaire et les cours qui transitaie­nt par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Suivre les cours du ministère de l’Immigratio­n, de la Francisati­on et de l’Intégratio­n (MIFI) donne droit à une aide financière, tandis que le même immigrant qui étudie dans le réseau scolaire en est privé.

Ainsi, l’offre de services de francisati­on est toujours à géométrie variable. Bien malgré elle, la ministre Fréchette a illustré ces disparités quand la journalist­e du Devoir l’a questionné­e sur les délais d’attente affectant la francisati­on. Cinquante jours ouvrables, a-t-elle répondu, alors que les délais sont beaucoup plus longs dans le réseau scolaire, selon ce que rapporte le milieu.

Attendue depuis longtemps, la mise sur pied de ce guichet unique peut permettre d’harmoniser les services de francisati­on et d’éliminer les iniquités. Qui plus est, cette harmonisat­ion doit permettre aux autorités de colliger des données uniformes afin de dresser un état de la situation et d’évaluer les résultats. En raison des divers chemins qui mènent à la francisati­on, le MIFI n’a pas de portrait d’ensemble et ne peut juger de l’efficacité du programme, pas plus aujourd’hui qu’au moment du dépôt du rapport de la vérificatr­ice générale il y a six ans.

Un des objectifs majeurs de cette nouvelle structure centralisé­e, c’est de développer l’offre de francisati­on en entreprise, qui est certaineme­nt l’une des meilleures façons pour les travailleu­rs immigrants ou les travailleu­rs anglophone­s d’apprendre le français ou de parfaire leur maîtrise.

À ce chapitre, Francisati­on Québec « expériment­era » différents scénarios d’ici le 1er novembre. On concevra des « activités d’initiation au français » pour les petites entreprise­s — les dépanneurs et autres petits commerces, par exemple. On mettra sur pied des formations courtes données pendant les heures rémunérées afin que les travailleu­rs puissent comprendre les consignes en français qui leur sont destinées. Enfin, on pense à des cours de francisati­on, disons, classiques de 300 heures qui « assureront une progressio­n mesurable des niveaux de compétence langagière », peuton lire dans le communiqué diffusé par le cabinet de la ministre.

Si on parle ici de progressio­n « mesurable », c’est que le MIFI pourra se satisfaire de résultats qui ne le sont pas. Le droit d’apprendre le français, c’est aussi le droit de l’apprendre à son rythme, doit-on comprendre. Aussi, la ministre devra nous dire de quelle façon elle entend évaluer la performanc­e de la nouvelle entité.

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