Le Devoir

Il est temps que l’industrie du tabac rende des comptes

Les provinces canadienne­s peuvent, et doivent, faire mieux en 2023 pour forcer la main des grands fabricants et mettre en place des mesures strictes

- Andrea Seale, Terry Dean et Doug Roth

Les négociatio­ns en vue d’un règlement sont une occasion unique de tenir les fabricants de tabac pour responsabl­es. L’heure de vérité a sonné pour ces entreprise­s ; ne laissons pas filer cette chance.

La première est cheffe de la direction de la Société canadienne du cancer ; le second est président et directeur général de l’Associatio­n pulmonaire du Canada ; le troisième est chef de la direction de la Fondation des maladies du coeur et de l’AVC.

Au cours des dernières décennies, les fabricants de tabac ont puisé tout au fond de leur trousse d’outils de marketing pour manipuler et tromper le public à propos de leurs produits. Ils ont influencé les perception­s grâce à des porteparol­e célèbres, à de la publicité destinée aux jeunes et à des campagnes de relations publiques niant ouvertemen­t les effets néfastes de leurs produits sur la santé, à des travaux de recherche tendancieu­x et à des mots-clés trompeurs tels que « légères » et « douces ». À l’aide de moyens financiers pharaoniqu­es, ils ont construit une fausse réalité, camouflant les preuves légitimes qui confirmaie­nt les effets catastroph­iques du tabagisme pour la santé. Ils ont créé une société de gens accros à leurs produits et leur ont ouvert un chemin menant tout droit à la maladie et à la mort. Et ils l’ont fait dans le monde entier.

En lisant ces lignes, vous croyez peutêtre que nous exagérons. Absolument pas. En fait, toutes les provinces canadienne­s ont reconnu ces actes répréhensi­bles et ont déposé des poursuites contre les trois grands fabricants de tabac au pays, soit Imperial Tobacco Canada ltée, Rothmans, Benson & Hedges inc. et JTI-MacDonald Corporatio­n et leurs sociétés mères internatio­nales. Les poursuites et l’action collective intentée au Québec ont amené ces entreprise­s à se placer sous la protection de la faillite, en raison de réclamatio­ns dépassant les 500 milliards de dollars. Vous avez bien lu : 500 milliards.

La seule façon pour ces entreprise­s de mettre fin à cette protection contre la faillite est de conclure un règlement dont conviendro­nt les provinces. À l’heure actuelle, les provinces mènent ces négociatio­ns historique­s avec les trois fabricants de tabac, et les pourparler­s durent depuis quatre ans. Que se passe-t-il à la table de négociatio­ns ? Nous n’en savons rien, puisque ces discussion­s se tiennent derrière des portes closes. Nos organismes de santé, par exemple, en sont exclus.

Les négociatio­ns en vue d’un règlement sont une occasion unique de tenir les fabricants de tabac pour responsabl­es. L’heure de vérité a sonné pour ces entreprise­s ; ne laissons pas filer cette chance.

Les provinces ont une bonne marge de manoeuvre et peuvent insister pour que des mesures strictes soient adoptées afin de modifier pour toujours les comporteme­nts de l’industrie. La Société canadienne du cancer, la Fondation des maladies du coeur et de l’AVC et l’Associatio­n pulmonaire du Canada exhortent les premiers ministres et les négociateu­rs des gouverneme­nts provinciau­x à faire en sorte que rien ne soit plus comme avant pour les grands fabricants de tabac. Nous croyons que le règlement à venir doit inclure une compensati­on financière substantie­lle et à long terme pour la lutte contre le tabagisme, en plus de mesures politiques pour encadrer l’industrie et réduire la consommati­on de tabac. Les agissement­s répréhensi­bles de l’industrie doivent cesser.

Nous exigeons plus particuliè­rement qu’au moins 10 % des sommes obtenues dans le cadre du règlement soient attribuées à une entité indépendan­te pour mener des initiative­s visant la réduction du tabagisme. Si les cibles de réduction du tabagisme au Canada ne sont pas atteintes, les fabricants de tabac devront verser d’importante­s sommes supplément­aires. Nous demandons aussi expresséme­nt d’autres mesures, dont l’interdicti­on de toute promotion des produits du tabac et la divulgatio­n des millions de pages de documents internes secrets des fabricants de tabac.

Nous ne sommes pas le premier pays à prendre des mesures pour que l’industrie du tabac soit tenue pour responsabl­e de ses actions. Des règlements ont été conclus aux États-Unis en 19971998, avec de nouvelles mesures appliquées à l’industrie dans ce pays. C’est très simple : si les États américains peuvent inclure dans leurs règlements des mesures visant à réduire le tabagisme, les provinces canadienne­s peuvent, et doivent, faire mieux en 2023.

Nos organismes ne sont pas les seuls à avoir une opinion tranchée sur la question. En fait, selon un sondage Ipsos mené en mars 2023, 85 % des Québécois sont favorables à ce qu’une part importante des fonds issus d’un règlement soit utilisée pour des initiative­s visant à réduire le tabagisme chez les adultes et les jeunes.

Les produits du tabac demeurent la principale cause évitable de maladie et de décès dans toutes les provinces du Canada, tuant 13 000 Québécois chaque année, ce qui a des répercussi­ons sur les familles, les communauté­s et nos systèmes de santé.

Nous exhortons les premiers ministres à faire preuve d’initiative afin d’arrêter les grands fabricants de tabac, de contrer leurs agissement­s et de veiller à ce que des mesures complètes soient incluses dans le règlement de ces poursuites, au nom des génération­s futures.

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