« Le droit à un environnement sain » consacré
Les élus de la Chambre des communes ont voté mardi en faveur du projet de loi S-5, qui modernise la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, instaurée en 1999. Des changements demandés depuis longtemps par des écologistes et des scientifiques auront bientôt force de loi. Explications signées Alexis Riopel et Boris Proulx.
Qu’est-ce que la Loi canadienne sur la protection de l’environnement ?
La Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE) est, selon Ottawa, la « pierre angulaire » de la législation fédérale en matière d’environnement. Plusieurs règlements fédéraux, dont certains concernant les émissions de gaz à effet de serre, ont été créés en vertu de cette loi. Plus directement, la LCPE encadre l’évaluation et la gestion des risques liés aux produits chimiques et aux polluants. Instaurée en 1999, elle n’avait jamais encore fait l’objet d’une révision majeure.
« Le droit à un environnement sain »
Le texte voté par les députés fédéraux mardi consacre le « droit à un environnement sain » pour tous les Canadiens. C’est la première fois qu’un tel droit est reconnu dans la loi canadienne. « Nous croyons que c’est un moment tournant important », se réjouit Lisa Gue, la responsable des politiques nationales à la Fondation David Suzuki.
Notons que la Charte québécoise des droits et libertés de la personne reconnaît déjà le droit de vivre « dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité ».
Dès l’adoption de la réforme, qui doit retourner une dernière fois devant le Sénat, les ministres fédéraux de l’Environnement et de la Santé auront deux ans pour élaborer un « cadre de mise en oeuvre » expliquant de quelle manière l’exécution de la loi assurera le droit à un environnement sain. Ils devront s’appuyer sur les principes de justice environnementale et de non-régression de la protection de l’environnement. « Ça peut sembler des considérations légales très pointues, mais il s’agit d’un changement de paradigme majeur pour la loi environnementale la plus importante au pays », estime Mme Gue.
Le principe de non-régression compliquera la tâche aux gouvernements qui veulent « détricoter » les décisions en matière de protection de l’environnement de leurs prédécesseurs, fait d’ailleurs remarquer Géraud de Lassus Saint-Geniès, professeur en droit de l’environnement à l’Université Laval.
Prendre en compte l’effet cumulatif des polluants
Le gouvernement devra désormais considérer les « effets cumulatifs des substances toxiques » quand il évaluera des risques dans le cadre de la LCPE. Il devra aussi prendre en compte ces effets sur les « populations vulnérables », comme les femmes enceintes ou les Autochtones qui consomment des produits naturels issus de zones polluées.
Par ailleurs, le gouvernement devra accorder la priorité à l’« interdiction » — et non pas seulement à la « quasi-élimination » — des substances toxiques les plus dangereuses. On parle ici des produits toxiques persistants et bioaccumulables, mais aussi, au-delà de certains seuils, des composés cancérigènes et de ceux toxiques pour la reproduction.
Le ministère de l’Environnement devra aussi tenir à jour une « liste de surveillance » des substances potentiellement dangereuses qui n’ont pas encore été formellement évaluées.
En pratique, quels effets aura la modernisation ?
Un exemple récent illustre les conséquences possibles de la modernisation.
Fin mai, Santé Canada a publié la première ébauche d’un rapport sur les substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques (PFAS, selon l’acronyme anglais). On retrouve ces « polluants éternels » dans des lubrifiants, des cosmétiques et des antiadhésifs, entre autres. Se fondant sur l’approche préconisée par le projet de loi S-5, les fonctionnaires ont décidé d’évaluer les PFAS comme une grande classe de composés, et non sur une base individuelle. Cela réduira « le risque d’une substitution regrettable » en cas d’interdiction, selon eux.
« Beaucoup de détails doivent encore être fixés, mais ce genre d’exemple me fait prudemment croire que la nouvelle approche va mener à des décisions plus fortes », dit Mme Gue.
Un consensus politique, à quelques détails près
Le projet de loi S-5 a raté de peu l’atteinte d’un consensus entre les partis politiques à Ottawa. Les conservateurs s’y sont finalement opposés, jugeant qu’un de ses aspects vient empiéter dans les compétences des provinces. « Nous appuyons les grandes lignes du projet de loi », a toutefois précisé le député conservateur Gérard Deltell lors des ultimes débats sur le texte.
Le gouvernement Trudeau a décidé de passer par le Sénat pour cette importante mise à jour de la loi canadienne sur la protection de l’environnement. Or, les conservateurs n’ont pas digéré que le gouvernement a d’abord accepté de rayer un passage sur la surveillance des bassins de résidus de fracturation hydraulique, avant de changer d’idée et de le réinscrire au texte. Selon l’opposition officielle, il s’agit là d’une responsabilité qui incombe aux provinces. Les libéraux ont expliqué avoir été sensibilisés par le déversement d’eaux usées de sables bitumineux à Kearl, en Alberta.
Les deux députés du Parti vert du Canada se sont aussi opposés à S-5, jugeant que le projet de loi représente en fait un recul. Adopté par les autres partis, le texte est de nouveau devant le Sénat, qui devrait entériner les ajouts d’ici une semaine.