Catherine Tait reste à la tête de CBC/Radio-Canada
La p.-d.g. de la société d’État se voit toutefois confier un mandat écourté, qui prendra fin en janvier 2025, a appris Le Devoir
Au coeur de plusieurs controverses au fil des ans, la grande patronne de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait, sera reconduite à la tête du diffuseur public, mais pour un mandat écourté de 18 mois qui surprend certains observateurs.
« On est dans une période de transition. […] On modernise le mandat de Radio-Canada. D’ici là, Mme Tait a accepté de nous accompagner, de nous prêter son expertise et son amour pour Radio-Canada », a déclaré jeudi le ministre fédéral du Patrimoine, Pablo Rodriguez, confirmant la nouvelle d’abord ébruitée par Le Devoir.
Nommée en 2018 par le gouvernement libéral pour cinq ans, Mme Tait restera donc présidente-directrice générale de la société d’État jusqu’en janvier 2025. M. Rodriguez est toutefois resté vague sur les raisons pour lesquelles ce prochain mandat sera plus court.
Le ministre souligne que son gouvernement se prépare déjà à trouver un successeur à Catherine Tait. D’ici là, Pablo Rodriguez souhaite une certaine continuité à la tête du diffuseur public, alors que doit entrer en vigueur le projet de loi C-18 sur le partage des revenus entre les géants du Web et les médias.
En plus de Catherine Tait elle-même, le président du conseil d’administration du diffuseur, Michael Goldbloom, et le groupe de pression Les Amis de la radiodiffusion ont salué la nouvelle.
Un renouvellement qui surprend
La décision du gouvernement Trudeau a toutefois surpris des observateurs du milieu, qui dressent un bilan mitigé du premier mandat de Mme Tait.
S’il comprend l’argument de stabilité, Patrick White, professeur de journalisme à l’UQAM, voit dans cette décision un certain désaveu de la part du gouvernement. « Lui donner un mandat de 18 mois, c’est dire qu’on ne lui fait pas confiance pour un autre mandat de cinq ans », laisse-t-il tomber. Il doute d’ailleurs de la capacité de Mme Tait à pouvoir faire avancer un quelconque dossier en si peu de temps.
« Ça la place dans une situation difficile. Les gens vont compter les jours avant son départ, ça risque de jouer sur sa capacité à avoir de l’autorité », renchérit Alain Saulnier, ancien directeur de l’information à Radio-Canada.
Selon ces deux experts, cette reconduction n’est pas une bonne idée. « Le bilan des cinq dernières années est une déception complète. […] La liste des mauvais coups est plutôt longue », souligne M. Saulnier.
Après son entrée en fonction dans sa « job de rêve » en juillet 2018, Catherine Tait s’est érigée comme l’architecte d’un grand virage en faveur de la diversité, autant à l’écran qu’au sein des employés. Ses détracteurs y ont plutôt vu une « obsession » pour les questions identitaires.
Toute d’orange vêtue, Catherine Tait a par exemple mené une marche dans le centre-ville d’Ottawa en septembre 2022 pour honorer les victimes des pensionnats pour Autochtones. Elle avait préalablement invité les journalistes de la salle de rédaction d’ICI Ottawa-Gatineau à s’y joindre, créant un malaise parmi ces professionnels soumis à un code de déontologie qui interdit le militantisme.
« Elle a miné l’image de l’indépendance de CBC/Radio-Canada vis-à-vis des pouvoirs politiques en donnant l’impression que le diffuseur est collé aux orientations du gouvernement », critique M. Saulnier.
Controverse après controverse
Et c’est loin d’être la seule controverse dans laquelle Catherine Tait s’est plongée. Celle qui dirige des salles de nouvelles aux quatre coins du pays a été l’objet de reportages embarrassants dans des médias privés et a essuyé de nombreuses critiques.
Le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, va jusqu’à qualifier le diffuseur public sous sa gouverne de « propagande libérale », et propose le « définancement » de sa partie anglophone, CBC. Dans une sortie très inhabituelle, Mme Tait a répliqué en février dernier au chef de l’opposition, en qualifiant sa position de « slogan » destiné à solliciter des dons.
Lors de son mandat, Catherine Tait a par ailleurs pris à rebrousse-poil des centaines de journalistes, producteurs, ex-employés et ex-cadres supérieurs de Radio-Canada qui ont signé en 2020 une pétition pour dénoncer une pratique de « publicité déguisée » en journalisme dans un service nommé Tandem. Cette forme de publicité existe toujours.
En 2022, ce sont des dizaines de journalistes qui ont joint leur voix à Céline Galipeau, Patrice Roy, Alain Gravel ou encore Marie-Maude Denis pour lui demander de ne pas s’excuser pour les multiples mentions à la radio du titre du livre Nègres blancs d’Amérique. La société a plutôt livré ses excuses, comme le lui demandait le régulateur fédéral, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).
« Le fossé qui s’est créé entre RadioCanada et CBC est important. Les deux solitudes sont plus grandes que jamais », s’inquiète le professeur White.
C’est sans parler des autres défis auxquels Mme Tait devra faire face : compressions budgétaires à venir, menaces conservatrices de définancement de ses activités, attaques des géants du Web… « Il va falloir redoubler d’efforts pour démontrer et rappeler toute la pertinence et l’importance de CBC/Radio-Canada dans notre société », croit M. Saulnier, jugeant le diffuseur public à la croisée des chemins.
Les gens vont compter les jours avant son départ, » ça risque de jouer sur sa capacité à avoir de l’autorité ALAIN SAULNIER