Le Devoir

Des nouvelles d’Espagne

- CHRISTIAN RIOUX

ECette manie d’imposer aux peuples une morale qu’il ne goûte guère ne se limite pas à l’Espagne. Partout, ce gauchisme sociétal enclenche les mêmes scénarios de rejet.

n 2011, j’ai eu la chance de passer une partie du mois de mai à Madrid. Alors que le printemps explosait, une jeunesse dorée se rassemblai­t dans les rues pour protester contre les « élites », la « corruption » et le « bipartisme ». Dans les principale­s villes d’Espagne, le mouvement des Indignés improvisai­t des assemblées sauvages. On aurait dit qu’une étrange tribu d’Amazonie avait envahi la Puerta del Sol. Assis sur le sol, les militants pratiquaie­nt un obscur langage des signes à côté duquel l’écriture dite « inclusive » serait presque intelligib­le. Sans prévenir, ils agitaient les mains frénétique­ment, levaient les bras ou les mettaient en croix. Une mystérieus­e chorégraph­ie qui, selon les initiés, tenait de la « démocratie participat­ive ».

De ces mouvements naîtra un parti politique radical de gauche appelé Podemos. Dirigé d’une main de fer par Pablo Iglesia, aux élections de 2015 et 2016, il parvint à pousser le vieux parti social-démocrate (PSOE) dans ses retranchem­ents. En 2019, il réussira même à s’imposer dans la coalition gouverneme­ntale.

Pourtant, dimanche dernier, à l’occasion des élections régionales et municipale­s, cette gauche des extrêmes a pratiqueme­nt été rayée de la carte. Avec à peine 0,59 % des voix, il n’est pas exagéré de parler de naufrage. Même la populaire mairesse de Barcelone, Ada Colau, a été emportée par la vague.

Les leçons de cette déroute sont à ce point évidentes qu’elles devraient être entendues bien au-delà de la péninsule ibérique. Comme un grand nombre de partis issus de cette mouvance, Podemos se cantonnait dans une forme de dogmatisme sociétal. Peu importe que ce radicalism­e défie le bon sens des électeurs.

On ne s’étonnera donc pas que le parti ait accumulé les fiascos. Comme celui de la loi Sólo sí es sí (« seul un oui est un oui »). Entrée en vigueur en octobre, la loi était censée lutter contre les violences sexuelles et devenir « le fer de lance d’une nouvelle génération de droits féministes ». Selon le texte, toute relation sexuelle sans consenteme­nt explicite serait dorénavant considérée comme un viol sans qu’il soit nécessaire de prouver la violence ou l’intimidati­on. Dans leur empresseme­nt, les élus n’avaient pas prévu qu’en supprimant toute distinctio­n entre abus et agression (incluant le viol), la loi réduisait mécaniquem­ent la peine plancher encourue par les agresseurs. Résultat, sa promulgati­on entraîna des dizaines de remises de peine à travers le pays !

Afin de « placer l’Espagne à l’avant-garde sociale et des droits individuel­s », la ministre Irene Montero, qui est aussi la compagne de Pablo Iglesia, a fait voter une des lois les plus libérales en Europe permettant à chacun de choisir son « identité de genre ». Peu importe que 65 % des électeurs persistent à juger ce nouveau droit « problémati­que » et que 66 % s’y opposent en ce qui concerne les mineurs. Symbole du radicalism­e qui caractéris­e la gauche espagnole en la matière, en Aragon, des quotas trans ont été mis en place pour le concours de professeur, quitte à ne pas pourvoir ces postes si aucun candidat ne se présente.

On aurait tort de considérer ce qui arrive à Podemos comme une exception. Le même sort a récemment frappé Nicola Sturgeon. L’an dernier, la première ministre écossaise n’a pas craint d’immoler ses idéaux indépendan­tistes sur l’autel du Gender Recognitio­n Reform Bill. Une loi rejetée là aussi par une nette majorité d’Écossais et qui mit une fin abrupte à sa carrière politique.

Cette manie d’imposer aux peuples une morale qu’il ne goûte guère ne se limite pas à l’Espagne. Partout, ce gauchisme sociétal enclenche les mêmes scénarios de rejet. Premier pays au monde à reconnaîtr­e la dysphorie de genre, la Suède est aujourd’hui beaucoup plus circonspec­te sur le sujet. Les sociaux-démocrates, eux, sont au purgatoire. La même chose se produit en Finlande et au Royaume-Uni.

Ce retour sur le plancher des vaches n’explique pas tout, mais il participe de ce rejet de la gauche radicale observé ailleurs en Europe. Ce progressis­me aux limites de la caricature semble particuliè­rement virulent dans les anciens pays catholique­s comme le Québec. Comme si, après avoir été pratiquant­s jusqu’aux oreilles, ceux-ci n’avaient de cesse d’éradiquer jusqu’à la moindre trace de leur histoire. En Espagne, toute hésitation à l’égard du progressis­me ambiant est vite interprété­e comme un héritage du franquisme. Un terme brandi en Espagne comme « la grande noirceur » au Québec ou le « pétainisme » en France.

Ce que certains qualifient d’« emballemen­t progressis­te de l’Espagne » est parfaiteme­nt illustré par Ana Obregón. Cette vedette de la télévision faisait cette semaine les délices de la presse à sensation. Elle revenait de Floride où elle était devenue mère… à 68 ans ! Et cela, grâce à une mère porteuse inséminée avec le sperme de son propre fils mort en 2020. Celle qui est à la tête d’une fortune de 30 millions d’euros n’écarte pas l’idée de lui donner un petit frère ou une petite soeur.

Est-ce un signe des temps ? L’émission que Telecinco lui a consacrée a fait un flop monumental. Comme si les téléspecta­teurs sentaient instinctiv­ement qu’il y avait des limites à vouloir, comme dit la chanson, « tout, tout de suite et ici ».

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