Le Devoir

À salaire élevé, cynisme encore plus élevé

- Marc Tremblay L’auteur est de Lanaudière.

Le métier de député n’est pas un métier comme les autres, c’est le moins que l’on puisse dire. On peut y accéder de bien des manières et sans toujours le mériter. Certains candidats de comtés sûrs n’ont même pas besoin de faire campagne tant la partie est gagnée d’avance. D’autres, à l’inverse, feront campagne à répétition sans jamais triompher. Quant à la qualité du travail, elle semble très relative, comme dans tous domaines d’activité. L’ancienne transfuge du Parti conservate­ur du Québec, Claire Samson, a déjà déclaré que le métier de député avait été le plus facile qu’elle avait exercé dans sa vie. D’autres, il est vrai, y laissent presque leur santé.

Néanmoins, faut-il augmenter leur rémunérati­on comme le suggère François Legault en usant généreusem­ent de sophismes ? L’un de ces raisonneme­nts boiteux est cette comparaiso­n avec le travail de fonctionna­ires. Que je sache, lorsque ceux-ci sont embauchés, c’est généraleme­nt à la suite d’un exercice de recrutemen­t rigoureux et méthodique. Les partis politiques y vont souvent de façon beaucoup plus hasardeuse.

Quand, à la surprise générale, le Nouveau Parti démocratiq­ue (NPD) avait fait élire 59 députés au Québec en 2011, propulsé par l’unique popularité de Jack Layton, bon nombre d’entre eux étaient de simples « poteaux », comme on dit dans le jargon politique. Des figurants uniquement désignés pour remplir le bulletin électoral. Parmi ces figurants, on se souvient de Ruth Ellen Brosseau qui « fit campagne » à… Las Vegas.

Si comparatif il y a au métier de député, on penserait plus à un participan­t d’une téléréalit­é qu’à celui de fonctionna­ire. Du moins dans la phase « recrutemen­t ». C’est peut-être d’ailleurs pourquoi le choix des candidats est souvent fonction de leur notoriété. C’est ce qui semble avoir guidé le premier ministre dans la compositio­n de sa députation, lui dont l’objectif, dont il ne s’est jamais caché, était de prendre le pouvoir.

Parmi les sophismes employés par le PM pour justifier l’augmentati­on spectacula­ire du salaire des députés, il y a cette autre perle : nous voulons attirer les meilleurs candidats possible. Outre le fait que nos députés ne sont pas dans la misère, ne vaut-il pas mieux attirer ceux animés par leurs valeurs sociales et leur engagement plutôt que par leurs ambitions personnell­es ?

Autrement dit, le Québec serat-il mieux gouverné parce que ses députés, outre ceux du fédéral, seront les mieux payés au pays ? Ses routes, ses systèmes de santé et d’éducation, son parc de logements, sa bureaucrat­ie, ses politiques seront-ils meilleurs ? Et question encore plus fondamenta­le : creuser l’écart entre le simple citoyen et celui qui le représente améliorera-t-il la démocratie québécoise ?

Le résultat du sondage Léger commandé par Québec solidaire laisse croire tout le contraire : 74 % des Québécois interrogés s’opposent à une telle augmentati­on. C’est un énorme désaveu. La classe politique au grand complet risque de pâtir de cette décision. En réalité, la loi 24 que s’apprête à faire voter le gouverneme­nt dégage une odeur de partisaner­ie poisseuse où le politique semble à la fois juge et partie.

À ce chapitre, les justificat­ions vaseuses de François Legault quant aux recommanda­tions du « comité d’experts » désigné par la Coalition avenir Québec et quelques élus triés sur le volet semblent cousues de fil blanc. Malgré l’impopulari­té du projet de loi 24, le gouverneme­nt s’apprête à agir comme il le fait souvent depuis les dernières élections : à la manière d’un conseil d’administra­tion souverain, indifféren­t à toute autre réalité que les intérêts de son petit club de privilégié­s.

Car c’est bien à un tel club que le Québécois moyen aura envie d’associer une classe de citoyens qui auront cet immense et rare privilège : voter leur propre augmentati­on de salaire selon leur bon vouloir. Qu’on ne vienne pas par la suite se plaindre du cynisme de la plèbe envers les politicien­s…

74 %

C’est le pourcentag­e des Québécois interrogés par la firme Léger qui s’opposent à l’augmentati­on de la rémunérati­on des députés.

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