Québec accusé de préparer une « stratégie d’extinction » du caribou
Deux nations innues affirment que le plan censé éviter la disparition du cervidé comporte de sérieuses lacunes
Des nations innues critiquent sévèrement le gouvernement Legault, accusé de préparer une véritable « stratégie d’extinction » du caribou forestier en refusant d’aller de l’avant avec la protection de secteurs importants de l’habitat essentiel du cervidé, au nom de la protection de l’industrie forestière. Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, appelle pour sa part à la « patience », tout en assurant que le « plan » de protection de l’espèce sera présenté en juin.
« C’est une véritable stratégie d’extinction. Il n’y a pratiquement rien pour la protection du caribou sur notre territoire », déplore Michael Ross, directeur développement et territoire de la Première Nation des Innus d’Essipit. « L’impression qu’ils me donnent, c’est qu’ils font le choix de prioriser l’industrie forestière au détriment du caribou. »
Il en vient à cette conclusion à la suite de rencontres organisées avec des représentants gouvernementaux au cours des dernières semaines en prévision du dépôt de la stratégie de protection du caribou, qui est prévu ce mois-ci. « Ce qui nous a été présenté est nettement insuffisant. Rien de ce que nous avons proposé n’a été intégré ou considéré», résume Martin Dufour, chef de la Première Nation d’Essipit.
Les Innus jugent notamment que les projets de protection de l’habitat du caribou sont nettement insuffisants pour éviter le déclin et la disparition de hardes vivant sur leur territoire, dont celle du Pipmuacan.
Harde menacée
Selon M. Ross, le gouvernement aurait écarté un projet qui aurait permis de protéger des massifs forestiers majeurs situés au sud du réservoir Pipmuacan, un territoire qui devrait voir la création d’une aire protégée de 2761 km2, ont déjà réclamé les Innus. La Presse rapportait plus tôt cette semaine que le gouvernement compte plutôt proposer un projet de 992 km2 qui met de côté la majorité des vieilles forêts, lesquelles constituent un habitat essentiel pour le cervidé.
Or, cette harde est de plus en plus menacée, en raison de la dégradation de son habitat provoquée par les coupes forestières. Une situation qui témoigne la nécessité de « revoir l’aménagement forestier pour qu’il soit réellement durable » et qu’il ne menace plus la biodiversité, affirment les Innus dans leur sortie publique. « Notre territoire est très dégradé par des chemins construits pour l’industrie forestière. On veut donc restaurer l’habitat du caribou et mettre en place des zones de connectivité pour que les animaux puissent se déplacer », souligne Michael Ross.
Il insiste par ailleurs sur l’importance culturelle de cette espèce pour les Innus. « La protection de notre culture, qui est liée aux caribous, est notre principale préoccupation. Je voudrais que mes enfants et mes petits-enfants puissent avoir ce lien que leurs ancêtres ont eu. »
« Un peu de patience »
Interpellé jeudi matin par les journalistes parlementaires à Québec, le ministre Benoit Charette s’est voulu rassurant par rapport au « plan » que le gouvernement doit présenter. « Il y a des éléments qui ont commencé à circuler, mais il n’y a personne qui a le portrait d’ensemble. Et surtout, c’est un travail qui se poursuit », a-t-il souligné, en promettant une annonce officielle « quelque part en juin ».
« Un petit peu de patience, et on va pouvoir vous revenir là-dessus, mais il n’y a pas de groupe qui peut se dire lésé ou entièrement satisfait. Le plan n’est pas complètement terminé, mais c’est une question de quelques semaines », a-t-il ajouté.
Le caribou forestier est inscrit sur la liste des espèces menacées ou vulnérables du Québec depuis 2005. En 2019, le gouvernement Legault avait décidé de reporter à 2022 la présentation de sa « stratégie » de protection. En 2021, il a finalement décidé de nommer une « commission indépendante » pour mener des consultations régionales. Pendant ce temps, des secteurs de l’habitat de l’espèce ont été offerts à l’industrie forestière.
Aires protégées
Selon la Société pour la nature et les parcs du Québec (SNAP), un minimum de 35 000 km2 de territoires devraient être protégés pour qu’on espère freiner le déclin des différentes hardes en péril au Québec.
Son directeur général, Alain Branchaud, s’attend donc à ce que le gouvernement fasse preuve d’ambition. La mise en place d’aires protégées demeure l’approche la plus appropriée pour remplir ces critères et assurer efficacement le rétablissement de l’espèce », a-t-il fait valoir jeudi.
Au cabinet du ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, on dit attendre de voir le plan de Québec, qui sera par la suite analysé « en fonction des obligations de la Loi sur les espèces en péril et de notre stratégie de rétablissement du caribou ».
« Nous ne pouvons pas commenter sur une stratégie que nous n’avons pas vue. Nous verrons en temps et lieu les prochaines étapes et les actions nécessaires pour assurer la protection et la survie de l’emblématique caribou au Québec », a-t-on ajouté, par courriel.